Durée : 31 jours
Distance : 455 km (162km en Kayak, 294 à pied)
Dénivelé : 22 343 m
Point de départ :Å, Moskenesøya – Norvège
Coordonnées du point de départ : 67.8803°N, 12.9831°E
Les paysages des îles Lofoten sont ceux d’une chaine de massifs de haute montagne, de sommets bien pointus reliés entre eux par des lignes de rasoir. Pour autant, ces sommets ne dépassent généralement pas les 700 ou 800m d’altitude, comme si l’Océan avait englouti ces massifs, en transformant les vallées en fjord pour ne laisser dépasser que les dernières arêtes.
Etonnamment, les cartes ne référencent que quelques sentiers et il n’existe pas -ou très peu- de topo ou de documentation quelconque sur les possibilités de vadrouille en dehors de ces quelques sentes. Pourtant, le rocher est souvent bon, et hormis quelques forêts de petits bouleaux tortueux dont il est difficile de se défaire, la quasi absence de végétation (en dehors des tapis de mousses et lichens qui recouvrent les îles) laisse la part belle à l’exploration hors sentier.
La première version de cette boucle était prévue en combinant une partie à vélo et l’autre à pied. A force de se balader dans les cartes, une évidence est apparue : les Lofoten doivent être le paradis du Kayak ! Mais là non plus, nous ne trouvons aucune documentation sur la faisabilité d’une petite croisière-kayak entre la ville de Å, l’extrême sud de l’ile, et celle de Svolvær, une centaine de kilomètres au Nord-Est. Le loueur de Kayak n’a jamais entendu parler de personnes ayant fait l’itinéraire, internet non plus. A défaut d’info, on prévoit une dizaine de jours de bouffe pour un itinéraire qui devrait prendre une semaine à vu de nez, et on verra bien sur place.
Autre particularité assez marquante des Lofoten, les îles sont deux degrés de latitude au-dessus du cercle polaire, donc le soleil ne se couche pas de début juin à mi-juillet. Il n’est jamais au zénith non plus, mais décrit une ellipse au-dessus de l’horizon avec un fondu enchainé de coucher-lever de soleil qui dure une bonne partie de ce jour continu. On s’affranchit donc des contraintes habituelles qui veulent que le camp soit monté à la tombée de la nuit et on adapte le rythme en fonction de la météo, de l’énergie et de l’humeur des troupes.
Video
Vu du ciel
Time Lapse
Itinéraire complet
Cet article commence par l’itinéraire en Kayak (de Å à Slvolvær). Si vous souhaitez accéder directement à la partie rando qui correspond au retour de Slvolvær vers Å, vous pouvez cliquer ci dessous :
Moskenes- Å
Distance : 12.5 km
Dénivelé + 820 m
Dénivelé – 820 m
L’itinéraire global prévoit une boucle avec comme point de départ le village de Å (ça ne s’invente pas…), le village le plus au sud des îles. Le bateau arrivant à Moskeness, rallier la ville de Å prend quelques minutes par la route (stop ou bus) mais il reste près de 24h à tuer avant le rendez-vous avec le loueur de Kayak. Un petit point de Bivouac potentiel sur un mamelon au-dessus de Moskenes pourrait faire l’affaire pour la nuit, on monte donc là-haut avec nos sacs encore énormes. On avait un peu oublié ce que ça faisait de faire du dénivelé avec 30 kg sur le dos… Mais une fois là-haut, il est encore un peu tôt pour installer le camp.
On se décharge de notre barda pour se lancer tout léger dans un petit parcours sur l’arête juste en face, depuis laquelle une sente mène très facilement à un premier petit sommet plus au nord, le Merraflestinden.
Chemin faisant, on fait notre première rencontre avec un animal assez particulier, emblématique des Lofoten : le Lagopède. Ce drôle d’oiseau est très rare en France, mais on en croise des dizaines (et des dizaines !) aux Lofoten. Sa particularité vient de son plumage, en accord avec son passe-temps favori : le camouflage. Il s’habille donc entièrement de blanc l’hiver, et se change en couleur marron/mousse l’été.
Une fois sur le premier sommet, on commence à avoir une première idée de ce qui nous attend ici : un enchevêtrement de lacs étagés et de Fjords séparés par des lignes d’arête interminables. Justement, de ce premier sommet, une arête mène facilement au sommet voisin, le Gylttinden : une petite pyramide qui plonge directement dans le fjord 500 mètres plus bas. Il est ensuite assez facile de redescendre jusqu’au lac de Moskenesvatnet, d’où l’on retourne rapidement au point de bivouac juste au-dessus.
Le lendemain, Stig nous a donné rendez-vous en fin de journée pour nous déposer les Kayaks au village de Å. Il reste donc encore une petite journée à tuer avant de partir sur l’eau. On profite de ce temps pour poser nos sacs relativement importables au sud du lac de Stuvdalsvatnet et faire un petit aller-retour sans sac au sommet du Tindstiden. Le sommet est directement au-dessus du point duquel nous avons prévu de partir en Kayak le soir même, et donne un bon aperçu de la partie Sud des îles et du trajet.
Une fois redescendu au village, on s’installe au bar dans lequel on a prévu un rendez-vous avec Stig qui doit ramener les kayaks de Svolvær.
Å – NusFjord
Distance : 64 km
Dénivelé + 3153 m
Dénivelé – 3153 m
Stig arrive exactement à l’heure et à l’emplacement prévu. On découvre alors les deux embarcations. C’est le coup de foudre instantané. Il faut dire que nous n’avons pas beaucoup d’éléments de comparaison, mais les kayaks n’ont pas grand-chose à voir avec l’espèce de planche de plastique à fond plat qu’on avait pour notre précédente sortie de Kayak de mer aux Philippines. Sur ces engins de compet’ (a priori le minimum syndical pour sortir en mer), deux trappes nous donnent accès à un volume de stockage énorme à l’intérieur de la coque (environ une centaine de litres).
Les sacs à dos ne passent pas à travers ces trappes ; ils seront vidés de leur contenu dans la coque, puis sanglés à l’arrière. En quelques minutes les deux kayaks sont prêts à prendre la mer. Il fait beau et il n’y a presque pas de vent. Après deux (petites) journée de marche à trimballer une soixantaine de kilos de matos répartis sur 4 pattes, faire glisser tout ça sur l’eau sans effort procure une sensation de légèreté jouissive.
L’excitation du départ nous a fait oublier de prendre des réserves d’eau douce. L’eau coule à peu près partout aux Lofoten, mais rajouter une dizaine de litres d’eau douce pour avoir la possibilité de poser la tente n’importe où sans se soucier de l’eau est un confort supplémentaire dont on ne va pas se priver, surtout quand on n’a pas à la porter ! On débarque sur un ponton du village de Sørvågen où l’on mendie facilement nos 10 litres dans le petit restaurant du port avant de repartir plein Nord.
Il commence à se faire tard, mais la route qui longe la côte nous pousse à continuer pour trouver un emplacement sympa pour accoster et poser la tente. Quelques kilomètres après, la côte Est de l’île s’ouvre sur l’un des plus grands -et sans doute le plus impressionnant- fjords des Lofoten. Il abrite un petit village que les Norvégiens eux même décrivent comme le plus beau du pays : Reine. Ce n’est finalement pas tant le village en lui-même qui impressionne, mais plutôt sa localisation.
Les maisons sont réparties sur quelques petites îles à l’entrée du fjord dantesque. Les falaises coiffées de crêtes en lames de rasoir plongent à pic dans l’océan, donnant l’impression de continuer leur course encore plusieurs centaines de mètres sous l’Océan.
Il est minuit passé, le fjord est baigné d’une lumière douce. Le soleil vient de basculer derrière les crêtes, mais les sommets sont encore éclairés. On cherche un endroit pour poser la tente.
La petite île à l’entrée du fjord semblerait faire l’affaire, mais à peine débarqué, une nuée de mouettes, goélands et huitriers nous fait comprendre que le lieu est déjà occupé. Faute d’arbres et de prédateurs, les nids sont à même le sol, et très clairement ; on les emmerde. On remet assez vite les Kayaks à l’eau pour trouver un autre spot. Un gros coup de vent est annoncé pour le lendemain, il faut s’enfoncer un peu dans le fjord pour trouver un emplacement plat, si possible à l’abri du vent. Finalement, un tapis de verdure présente un spot idéal au pied du Tennestinden.
Le lendemain, le coup de vent annoncé est effectivement là, et pousse dans la direction opposée à notre cap. Une petite ascension de la crête qui trône au milieu du Fjord devrait nous permettre de tuer le temps. Après une traversée en Kayak assez courte (vent dans le dos) nous voilà au pied de l’arête. Une fois passées les premières pentes, le terrain se corse un peu, mais en fouinant on arrive à se faufiler jusqu’au sommet visé : le Pantaliantiden. Ce sommet offre un panorama invraisemblable, coincé entre deux bras de Fjords clairsemés de bancs de sable blanc qui lui donnent par endroit une teinte bleu lagon.
Une fois descendus, on décide de passer une deuxième nuit sur notre petit spot sympa, mais avant de se replonger au fond des duvets, on se laisse finalement tenter par une balade qui n’était pas prévue : les escaliers du Reinebringen. Avec le Ryten, cette courte escapade est un point de passage obligatoire pour tout touriste de passage dans l’archipel, la fréquentation de l’arête nous faisait un peu peur. La météo au beau fixe incite à de tenter le coup. On repart donc rapidement après avoir posé pied à terre, sans se laisser démotiver par un retourné de Kayak suivant sa mise à l’eau, résultat de la houle et de notre manque d’expérience dans cette discipline… Une fois un rechange sec enfilé, on remonte dans les kayaks pour atteindre le départ de la rando.
La concentration de randonneurs sur la pente qui monte sur l’arête ayant ravagé le sentier, un escalier a été construit en 2019. Sur le principe, le fait de construire des escaliers pour accéder aux sommets nous laisse un peu dubitatifs, mais ça reste un moyen efficace de limiter le piétinement autour du sentier. L’argument de la sécurisation en revanche ne tient pas. L’escalier rendant l’accès au sommet beaucoup plus facile, les visiteurs ne glissent plus dans la montée, mais ils sont beaucoup plus nombreux au sommet et tombent des falaises depuis là-haut… Le nombre d’accident par année a même légèrement augmenté depuis la construction de l’escalier.
Les quelques panneaux qui mettent en garde les visiteurs de la (relative) difficulté ne font aucune mention de la construction de l’escalier. Pourtant vu la taille des blocs de roche le chantier a dû être titanesque. On apprendra plus tard qu’une entreprise Norvégienne fait construire ces escaliers à grand renfort de sherpa Népalais. De prime abord, difficile de ne pas y voir une forme d’exploitation, mais aux dires des sherpas en question, les conditions de travail sont meilleures en Norvège, pour un salaire près de 10 fois supérieur. Comme souvent avec la question des sherpas, difficile de savoir quoi penser de tout ça… En revanche, il paraitrait logique de voir apparaitre une mention-hommage aux personnes ayant travaillé sur ces chantiers pharaoniques en début de parcours.
Une fois lancés sur l’escalier, on croise les derniers retardataires dans la montée pour finalement arriver seuls sur l’arête. Et effectivement, l’arrivée au col après les quelques 1800 marches est frappante. La vue se dégage d’un coup sur le Fjord de Reine et le village du même nom quelques centaines de mètres en dessous. De l’autre côté du fjord, le soleil remonte à partir de 3h du matin après un court passage derrière les crêtes et remplit l’air qui nous entoure de cette étrange lumière puissante et feutrée.
On profite de cette solitude pour suivre l’arête jusqu’au sommet (à 666 mètres d’altitude…). Il faudra mettre les mains sur quelques passages relativement faciles mais très exposés. Un itinéraire pourrait continuer sur les arêtes encore quelques kilomètres jusqu’au Munken, mais la ‘journée’ commence à se faire sentir. On ne s’en doutait pas encore, mais on fera ce beau parcours d’arête dans un peu plus de trois semaines, en arrivant par l’autre versant. Ca fait déjà pas mal pour aujourd’hui, donc on descend récupérer nos kayaks pour retourner au camp pour la deuxième nuit, alors que le soleil continue sa ronde au ras de l’horizon.
Le vent est encore fort, mais il s’est un peu calmé par rapport à la veille. Retour sur la mer, cap vers le Nord. Une petite houle est venue agiter la côte Est des Lofoten, et provoque un effet assez inattendu : elle transforme les kayaks en véritables berceaux et nous fait piquer du nez. Pour autant, la belle pause autour de Reine nous a fait prendre un peu de retard, donc on se fait une belle tirée dans la journée jusqu’aux abords de Nusfjord.
Une fois à terre, la fatigue se fait oublier malgré l’heure tardive. On se lance donc dans une petite bambée au sommet 700 mètres au-dessus de notre camp : le Tønsåsheia. Ce sommet est le plus oriental d’une chaine qui traverse l’île d’Est en Ouest, à laquelle on se frottera lors de notre retour à pied dans trois semaines. On profite donc du point de vue dégagé pour essayer de repérer l’itinéraire que l’on a prévu pour la suite. Certains passages paraissent un peu ambitieux, mais impossible de se faire des idées trop précises de si loin.
Pour la première fois depuis notre arrivée aux Lofoten, le sommet nous ouvre une vue sur quelques centaines de kilomètres au Nord. Aussi loin que porte le regard, les îles sont hérissées d’un nombre invraisemblable de petits sommets pointus. De nouveau, on se retrouve trinchés au sommet à 3 heures du matin, enveloppés de cette étrange lueur diffuse du soleil de minuit. On redescend passer la ‘nuit’ sur notre camp monté sur un énorme monolithe coiffé de cette mousse caractéristique des Lofoten, la tente écrasée par le soleil.
Au réveil en milieu de journée, alors que la popote chauffe doucement, une drôle de nouvelle tombe du ciel : d’ici un peu moins de 9 mois, un nouvel arrivant va rejoindre notre équipe ! Le temps semble se suspendre quelques instants. La popote frémit doucement, la toile de tente ondule sous l’effet d’une petite brise marine, et l’énorme bloc rocheux sur lequel on a monté la tente est posé sur un petit nuage. A l’heure où on écrit ces lignes, le petit Elias est arrivé sur terre et comble ses parents de bonheur.
Finalement le temps n’a rien changé à sa course. Rien d’extraordinaire là-dedans en somme, mais une nouvelle tranche de vie commence à se pointer à l’horizon et nous laisse ébahis quelques temps. Une fois le thé matinal digérée, on reprend la mer, les pensées tournées vers le futur.
Pas sûr qu’on puisse faire beaucoup de distance aujourd’hui ; de nouveau un gros vent de face s’est levé. Du coup, on en profite pour passer une tête au petit village de Nusfjord, complétement invisible depuis l’entrée du Fjord. C’est seulement en avançant dans les terres qu’apparait le renfoncement dans la roche qui abrite une quinzaine de Rorbus, totalement abrités du vent qui commence à décoiffer. Les Rorbus sont ces petites maisonnettes rouges de bord de mer, utilisées comme hébergement pour les pêcheurs en hiver et pour les touristes en été.
Ici elles sont disposées en cercle autour d’un petit port, qu’on imagine facilement bouillonnant de vie autour d’un bateau de viking revenant d’une pêche chargé de cabillauds. Aujourd’hui, à défaut de bateaux de vikings et de pêche miraculeuse, on s’offre deux pizzas au saumon dans un petit bar restaurant du port, et ça fait le plus grand bien avant de repartir le nez au vent.
NusFjord - Henningsvær
Distance : 91.7 km
Dénivelé + 275 m
Dénivelé – 155 m
En reprenant la mer vers le Nord en partant de NusFjord, de grosses bourrasques pleine face nous attendaient en embuscade à peine sorti du Fjord. On arrive à passer -non sans peine- la pointe rocheuse de l’autre côté du Fjord, pour se rendre vite compte qu’on ne pourra pas en faire beaucoup plus, d’autant qu’il faudrait se lancer dans la traversée face au vent des 4 kilomètres du bras de mer qui sépare l’ile de Flakstadøy de celle de Vestvagøy.
D’après les fonds de carte, il devrait y avoir un petit replat une cinquantaine de mètres au-dessus de falaises qui tombent dans la mer. Ça pourrait faire un spot pour poser la tente en attendant que le vent tombe pour se lancer dans la traversée, mais encore faut-il arriver à y accéder. C’était pas gagné d’avance, mais une petite vire entre deux étages de falaise mène à une cheminée puis au replat en question où l’on monte le camp pour la nuit.
De ce perchoir, on assistera à un balai de pygargues à queue blanche. C’est un spectacle assez grandiose de voir ces aigles jouer avec les bourrasques qui nous ont cloué à terre.
Le lendemain, il ne reste plus grand-chose du coup de vent de la veille. On se lance sereinement dans la traversée vers l’île de Vestvagøy. Cette île est la plus plate, donc la plus urbanisée des Lofoten. Sur les deux journées suivantes on traversera la baie de la ville de Leknes et les villages côtiers de Ballstad et Stamsund. Entre ces villages, la petite baie de Finnstadpollen vaut vraiment le détour.
Le paysage est assez radicalement différent des fjords abrupts du sud. Beaucoup moins dramatique, il consiste en une succession de rocher de granit rose et de bancs de sable blanc, le tout entouré de petites montagnes verdoyantes au milieu d’une mer cristalline. Il faut dire que le retour du soleil et l’absence de vent participent pour beaucoup à la perception de quiétude générale. On se permettra même une petite baignade et sieste au bord d’une plage de sable blanc sur une des micro-îles qui peuplent la baie.
Une fois ressortis de cette zone abritée, on se prend de nouveau un petit coup de vent dans les naseaux. Malgré tout, on essaye de pousser un peu après le village de Stamsund à partir duquel on est vraiment exposés au vent pour arriver sur un bout de terre émergé entre deux grands bancs de sable blanc : une petite île de 50 mètres de long pour 20 mètres de large. En son centre, un petit mamelon de 3 ou 4 mètres de hauteur protègera notre tente des rafales pour la nuit.
Le lendemain, on continue notre route vers l’Est. Un petit reste de vent agite encore doucement la surface de l’eau, mais cette partie de la côte est parsemée de petits îlots qui nous protègeront de la brise. Depuis quelques temps déjà, un sommet attire notre attention. Au fur et à mesure que l’on chemine vers le Nord, le Vågakallen se fait de plus en plus visible et magnétique. Sans trop de prétentions, il ne dépasse au dessus de ses voisins que de quelques centaines de mètres, mais il forme un cône rocheux presque parfait qui donne furieusement envie de grimper dessus. D’après les cartes, il y aurait deux chemins d’accès au sommet, on se met donc en tête d’en faire la traversée quand on arrivera sur place.
On passera la journée à avancer vers le Nord-Est avec ce sommet en ligne de mire. De nouveau ; le vent s’est levé. Mais cette fois c’est le vent dominant auquel on s’attendait, qui vient du Nord-Ouest. On est donc abrités par les reliefs des îles qu’on longe par le Sud-Est. Très bien.
Sauf que notre plan comporte une faille : il nous faut de nouveau faire une traversée d’un bras de mer qui sépare deux îles voisines. Les 3.5 km entre Vestvågøya et Austvågøya seront sportifs. Le vent d’Ouest qui s’engouffre et s’accélère sous un effet venturi dans ce passage étroit nous en fera sacrément baver pour cette traversée.
Le vent dans les dents, on donne tout ce qui nous reste dans les bras pour ne pas se faire éjecter du passage en question. Puis un moment de grâce : au bout de la traversée, la houle s’aplati dans une passe qui s’ouvre sur un petit lagon bleu azur peu profond, d’un calme qui contraste avec la bataille qu’on vient de mener. Nous voilà au milieu d’un micro-archipel reposant sur un fond de sable blanc au travers duquel nos kayaks glissent sans effort. On y pose la tente, avant de se rendre compte que la météo prévoit l’arrivée imminente de la pluie, difficile à imaginer sans le moindre nuage en vue.
Moins d’une heure après notre arrivée, les nuages commencent à arriver par le bras de mer qui sépare les iles de Vestvågøya et Austvågøya. On se motive pour un départ éclair pour tenter la traversée du sommet du Vågakallen avant que le mauvais temps ne s’installe. Alors qu’on était sur le point de se mettre au fond des duvets, on renfile les tenues de Kayak, on se prépare un petit encas et on prend la mer.
Très vite, on se rend compte de la débilité de notre plan. La mer de nuage s’engouffre à une vitesse vertigineuse entre les iles, et -chose très étonnante- une deuxième mer de nuage avance à toute berzingue dans notre direction depuis l’autre direction également. Alors on admet l’évidence et on abandonne notre plan foireux en reposant pied à terre pour regarder ces deux fronts de nuage nous engloutir. Une quinzaine de minutes après notre retour au camp, on ne voit plus à 10m. On se replonge au fond de nos duvets pour de bon.
Une bonne douzaine d’heures plus tard, les nuages sont toujours là, et il bruine un petit crachin breton qui semble bien accroché. L’envie de monter au Vågakallen ne nous quitte pas, donc on reste dans les parages en attendant que le temps s’améliore. Un village non loin de là permettra de profiter du mauvais temps. En quelques coups de pagaie, on rejoint le petit village de Henningsvær, implanté à cheval sur les deux îles principales d’un micro-archipel au pied de la pyramide du Vågakallen. On débarque sur un ponton au pied d’un petit bar, sous la petite pluie fine qui nous colle au basque.
Sans avoir préparé notre visite, on tombe par hasard, exactement sur l’endroit qu’il nous fallait : un petit bar de grimpeur chauffé par deux poêles, qui sert d’excellent burgers et de la bonne bière. Sur la poutre principale, une citation de Whymper (premier sommiteur du Cervin en 1865, entre autres prouesses) ‘Climb if you will, but remember that courage and strength are naught without prudence, and that a momentary negligence may destroy the happiness of a lifetime.’
En potassant les guides de rando et de grimpe à dispo dans le bar, on tombe sur les itinéraires du Vågakallen, prévu pour après la pluie. D’après le topo, l’arête Nord par laquelle on pensait monter comporte quelques passages de grimpe côtés 4a, donc assez facile, mais inenvisageable sans corde si on suit les conseils de Whymper. On garde en tête de monter là-haut une fois le beau temps de retour, mais uniquement en aller-retour par le versant Sud, à priori beaucoup plus facile. On a bien fait de venir…
Henningsvær - Slvolvær
Distance : 39 km
Dénivelé + 1770 m
Dénivelé – 1770 m
On repart quelques heures plus tard, bien requinqués mais toujours sous la pluie. La météo est assez incertaine, on décide de tenter notre chance malgré tout en avançant un peu le camp. Les kayaks seront donc garés à l’entrée du fjord Djupfjorden avant de partir à pied en direction du sommet convoité, avec un ou deux jours de rations. La météo n’a pas changé, mais l’idée est de poser un camp au pied de la montée pour tenter le coup le lendemain.
En sortant le nez de la tente, la météo ne s’est pas améliorée, mais les prévisions nous donnent une chance d’éclaircie dans la journée, alors on s’attaque à la montée. Deux heures plus tard, on se rend compte qu’on ne passera pas au-dessus des nuages qui semblent être bien en place. Histoire de ne pas revenir trop bredouille, on décide de monter sur un petit sommet au-dessus du camp, mais sans surprise aucune vue ne se dégage. Après une demi-heure là-haut sans éclaircie, il faut se rendre à l’évidence : le soleil ne se pointera pas aujourd’hui. Redescente à la tente pour laisser passer le mauvais temps quelques heures.
En ressortant le nez dehors, tôt le lendemain matin, le soleil semble enfin se décider à percer. Après deux jours d’attente, on se lance pour de bon dans l’ascension. La première moitié de l’itinéraire est une promenade de santé, variée, avec quelques courts passages de magnifique forêt de bouleaux de Norvège, torturés par le vent et les hivers sans soleil. A partir du premier col au Nord du Kvanndalstiden, les choses commencent à se corser progressivement.
Une pente assez raide permet d’atteindre un second col directement à l’ouest du sommet du Vågakallen qui marque le début des difficultés. D’ici, les deux ou trois centaines de mètres restant semblent infranchissables. Finalement, une somptueuse succession de cheminées et de vires permettent d’atteindre le sommet sans trop de difficultés. Evidemment, il faut souvent s’aider des mains, parfois avec un peu d’exposition en prime, mais rien d’insurmontable si on aime les randos aériennes.
L’itinéraire en soit est relativement facile à trouver. Il n’y a aucun marquage, mais peu d’alternatives possibles. Au sommet, la partie Nord des Lofoten s’offre à nous pour la seconde fois (depuis notre passage par le Tønsåsheia). Une densité folle de petits sommets hérisse cette partie de l’horizon à perte de vue. Au sud, la fine bande de montagne que forment les Lofoten s’étire sur une centaine de kilomètres. Côté levant, le bras de mer qui nous sépare du continent se fait de plus en plus étroit à mesure que l’on avance au Nord où les îles frôlent les terres.
Chose impossible sous nos latitudes, le soleil au-dessus de l’horizon plein Nord brille d’une lumière tiède. Il est 3 heures du matin. De là-haut, on devine clairement la fin du parcours en direction de Slvolvær qui semble à portée de pagaie. Après une petite sieste sommitale, on redescend de notre perchoir plier les affaires restées au camp, pour rejoindre nos kayaks qui nous attendaient sagement dans la crique où ils étaient restés.
La portion de mer qui nous attend ensuite sera l’un des plus beau souvenir de ce périple en Kayak : abrités à l’Ouest du Vågakallen, il n’y a absolument aucun souffle d’air. La surface de l’eau est un billard sur lequel nos kayaks glissent sans le moindre effort, flottant dans une quiétude hors du temps. Chemin faisant, deux autres âmes profitent de ce calme extrême : deux dauphins passent à quelques mètres de nos embarcations, en prenant soin de ne pas trop remuer la mer d’huile dans laquelle ils se glissent sans autre bruit que celui de leur respiration.
Au pied de l’arête qui descend de l’Est du Vågakallen, une petite grotte marine vaut le détour. Un filament de mer étroit s’engouffre dans une faille et passe sous d’énormes blocs rocheux. Une légère houle qu’on ne soupçonnait pas se fait alors ressentir au fond du boyau, rendant l’expérience plutôt ludique. Non loin de là, une petite crique en forme de fer à cheval accueillera notre tente pour la dernière nuit de la partie maritime de notre périple.
Le rendez-vous pour rendre les Kayaks à Stig est fixé à 18h. Il reste à peine plus d’une dizaine de kilomètres. Le calme incroyable de la veille s’est un peu dissipé, mais le vent est encore relativement insignifiant par rapport aux jours précédents. Ce sera donc une toute petite dernière journée. On se prélasse autour de la tente, aux premières loges face au sommet de la veille. Puis, doucement, on recharge les Kayaks une dernière fois avec tout notre petit bordel pour reprendre la mer en direction de Slvolvær.
Cette partie de la côte est particulièrement découpée et truffée d’immenses blocs de granit rose. De peur d’arriver trop tôt, on s’offre quelques belles pauses en chemin, dont une baignade dans un petit lagon cristallin proche de notre port de destination. Finalement, l’heure fatidique approchant, on rentre dans le port sans charme de la petite ville de Slvolvær pour accoster sur le ponton non loin de notre loueur. Ainsi s’achève ce petit périple maritime entre fjords et montagnes, au pays où le soleil ne se couche jamais.
Le fait de ne trouver aucune information préalable sur ce genre de rando Kayak en itinérance dans cette zone nous avait un peu inquiété, mais à posteriori c’est certainement le moyen de locomotion le plus adapté pour partir à la découverte de ces îles. Sans réelle expérience de ce genre de sortie, on a préféré rester sur la côte Est, théoriquement mieux protégée des vents dominants et de la houle, mais quand les conditions le permettent, l’exploration de la côte Ouest, plus sauvage et verticale, doit également valoir le détour
.
Rando : Slvolvær – Å
Distance : 247 km
Dénivelé + 17 150 m
Dénivelé – 17 150 m
La seconde partie de notre voyage se fera par la terre ferme depuis Slvolvær jusqu’à Å. Il existe un itinéraire sur l’excellent site rando-lofoten.net, mais comme à notre habitude, on va essayer de se frayer notre propre trace, toujours en privilégiant un maximum de parcours d’arête et de passages par les sommets, en traversée ou en aller-retour. C’est un très bel itinéraire, parfois un peu engagé, que nous découperons en trois parties entre les trois points de ravitaillement possibles : Slvolvær, Lekness et Ramberg.
Slvolvær – Lekness
Distance : 87 km
Dénivelé + 5 650 m
Dénivelé – 5 650 m
Après 12 jours en tente, avec comme seuls moments de toilette quelques ploufs dans l’eau froide et salée de la mer de Norvège, on se laisse tenter par une petite nuit en dur. En haute saison avec une réservation de dernière minute, les logements sont tous très chers aux Lofoten : difficile de trouver en dessous de 100€ la nuit (et il faut compter au minimum le double pour un logement sympa). On opte pour une chambre basique, mais avec deux atouts majeurs : une douche et un accès à un lave-linge, deux luxes incommensurables après deux semaines en itinérance. On repart le lendemain dans des odeurs de savon et de lessive dont on avait oublié le parfum.
L’itinéraire du retour comprend deux points de ravitaillement potentiels : Lekness et Ramberg. Il nous faudra à priori une semaine pour rejoindre le premier, on se charge donc d’une petite dizaine de jours d’autonomie. Le Kayak nous avait fait oublier ce que cela implique quand tout ça repose sur les épaules…
Pour cette première étape, une ligne de crête s’élance vers l’Ouest, donc dans la direction voulue. Comme ce sera très souvent le cas pour la suite de l’itinéraire à pied, aucune info sur la faisabilité de la chose. Une sente monte jusqu’au premier sommet -le Kongstindan- mais plus rien après le premier tiers de l’arête. D’après les cartes, ça pourrait être jouable, mais un doute subsiste sur la descente à l’ouest du plus haut point de l’arrête, où les lignes des cartes topo semblent suggérer une petite falaise. On verra bien une fois sur place.
On attaque la montée en plein cagnard, rapidement rattrapés par un vent à décorner les bœufs. En à peine une heure, le ciel se remplit de nuages lenticulaires patagoniens et la mer se couvre de gros moutons blancs. Comme prévu, un chemin bien marqué monte jusqu’à au Kongstindan. Ensuite, une sente correcte prend la relève jusqu’au point le plus haut de l’arête, à 640 mètres d’altitude. Les fonds de carte hyper détaillés nous avaient prévenu; l’arête à l’ouest de ce sommet plonge dans une petite barre rocheuse.
La face sud de la crête est vertigineuse et n’offre aucune échappatoire ou contournement. Il nous reste deux options : tout redescendre pour contourner par en bas, ou trouver un passage pour contourner le sommet par le Nord. Heureusement, juste sous le sommet, une cheminée permet de descendre de l’arête pour contourner la petite falaise et récupérer le fil deux ou trois centaines de mètres plus loin. Le passage est raidard, mais en faisant un peu gaffe où on met les pieds et les mains, ça joue.
Il faut traverser une petite langue de neige dure qui a résisté au printemps, mais qui ne nous posera pas trop de problèmes. En fonction de la saison, si elle remonte plus haut dans la cheminée (exposée plein Nord) cela peut certainement rendre la descente dangereuse, voire impossible. De retour sur le fil de l’arête une petite sente de mouton rend de nouveau la chose facile et agréable.
Avant de se trouver un point de bivouac, on descend un peu faire le plein de flotte à la source du ruisseau qui alimente le petit lac du Nokkvatnet. On vise un petit promontoire juste au-dessus pour passer la nuit, en espérant trouver de quoi planter la tente sur le sommet voisin du Mingmaurtidan. Il y a effectivement tout juste de quoi poser une tente, au bord d’une falaise en devers au-dessus du vide. Vu le vent qui n’a pas vraiment faibli, sans surprise, la nuit sera relativement agitée.
Au petit matin, la situation devient trop critique pour rester dans la tente. Les arceaux tordus, ça se récupère facilement. Les arceaux pétés, c’est plus chiant. La menace de pluie de la veille est passée, on plie donc la guitoune pour finir la nuit à la belle sur notre nid d’aigle au cœur des bourrasques.
L’étape suivante nous fait traverser la vallée qui prolonge le Olderfjorden, et plutôt que de longer ce dernier, on essaye de se frayer un passage jusque sur la ligne de crête au Nord du Fjord. Le premier étage de ce versant alterne entre forêt et fougères, mais c’est la deuxième strate de forêt qui nous donnera du fil à retordre. On aura un mal fou à traverser la centaine de mètres de forêt buissonnante avec nos sacs encore chargés d’une bonne semaine de bouffe.
La foret s’ouvre sur un des rares cols des Lofoten portant un nom : celui de Middagsskaret. C’est d’ailleurs une chose étonnante, car aucun chemin n’y mène ou n’en vient. Malgré un petit pas exposé mais relativement facile, l’arête mène ensuite sans encombre au sommet suivant ; le Jotinden, puis à notre objectif pour la nuit : le Kleppstadheia. On apprendra pendant notre séjour sur place la différence sémantique entre ces deux types de sommet : le suffixe ‘tinden’ est accolé aux noms des sommets pointus (pics ou aiguilles) tandis que les monts ou sommets arrondis se terminent par ‘heia’.
Globalement, il est plus facile de trouver un spot de tente sur un -heia- qu’un -tinden- donc. Le sommet arrondi du Kleppstadheia, justement, est un excellent emplacement pour observer le soleil de minuit : plein Nord, la vue est dégagée sur la mer. Entre minuit et deux heures du matin, la composante verticale du mouvement soleil est quasiment nulle ; il trace une trajectoire presque horizontale en se déplaçant vers l’Est. Ce soir, en plus de ce spectacle physique que nous n’avions encore jamais observé si distinctement, le ciel partiellement chargé de nuages offre une scène haute en couleur.
L’itinéraire quitte ensuite l’île de Austvågøya pour un court séjour sur celle de Gimsøya. La météo prévoyait un temps maussade pour cette journée, le plan initial était de faire du stop pour traverser les deux ponts qui relient la petite île de Gimsøya à ses voisines. Finalement, le soleil persiste. On décide de tenter notre chance sur le Svartinden, le sommet de l’île coincé entre deux bras de mer. Aucun sentier ne mène là-haut, mais a priori, aucun autre obstacle qu’une pente herbeuse inclinée entre 35° et 40° sur 700 mètres de dénivelé.
Le versant en question reste encore quelques degrés d’inclinaison en dessous de la pente critique à partir de laquelle une glissade nous ferait débarouler toute la face, mais ça reste quand même bien raide. Il nous faudra un bon moment pour venir à bout de cette montée. Une fois sur l’arête qui pourrait mener au sommet, on se pose un moment pour casser la croute et profiter de la vue surplombante sur le bras de mer qui accueille l’archipel sur un fond de sable blanc.
Juste en face, un orage se prépare. Pour l’instant, on trouve ça beau, mais le petit orage tout mignon devient rapidement un monstre qui engloutit toute l’île voisine et semble nous réserver le même sort. La tente est montée à la hâte pour garder les affaires au sec. Sous cette pluie fine et dans cette purée de poids, le sommet juste à côté n’a plus vraiment de sens. On fait un aller-retour jusqu’au dernier point d’eau qu’on avait repéré à la montée pour refaire le plein et passer la nuit perchés dans le mauvais temps.
Quelques heures de sommeil plus tard, il ne pleut plus. Sans trop savoir si c’est le matin, la journée ou le soir, les nuages nous entourent encore, pourtant le soleil ne parait pas loin. L’horloge indique la fin d’après-midi. On fait le pari de monter pour attendre le soleil de minuit là-haut, en espérant avoir plus de chance que lors de notre première tentative sur le Vågakallen. La crête parait très aérienne, mais une éclaircie entre deux nuages fait ressortir une voie d’accès sur une pente herbeuse sur la face Ouest sous le sommet.
Moment magique : une ou deux dizaines de mètres avant le sommet, les nuages s’écartent et on se retrouve sur une petite pointe au-dessus des nuages, dans lesquels vont et viennent des spectres de Brokeh très marqués. On restera un bon moment là-haut avant de redescendre une fois les nuages évaporés pour démonter la tente et continuer sur l’arête en passant par les sommets suivant : le Sundklakktinden et le Skjolden.
Le soleil de minuit touche l’horizon et on n’a dormi que quelques heures avant le sommet. D’après la météo, un bon coup de mauvais temps risque d’arriver d’ici une dizaine d’heures, alors on continue d’avancer tant que ça tient. Un petit pont routier permet de rejoindre l’île suivante, au pied du sommet de Anderstinden. De nouveau, la plus grande partie de la montée se fait hors sentier dans une grande pente herbeuse assez raide.
Avant le sommet, une barre rocheuse bloque l’accès à l’arête. Une fois de plus, une sente de mouton – ou de viking (ou de mouton viking)- nous montre le chemin. Effectivement une petite vire permet de jongler entre les falaises pour rejoindre le sommet facilement, mais la suite du parcours est également très incertaine. Le projet initial dessinait un enchainement de crêtes aériennes reliant les sommets du Håtinden, LitlHåtinden, Vikjordtinden puis Kotaksla.
Sur les cartes, un fil d’arête très aiguisé semble relier les sommets suivants. Une fois sur place, à première vue de l’itinéraire en réel, ça parait un peu joueur, mais avec un peu de chance et de culot, ça pourrait passer. Avant de monter, on fait un ravitaillement en flotte au niveau du col à l’ouest de l’Anderstinden. Rapidement après le début de la montée, on réalise que ça va faire bientôt une vingtaine d’heure que l’on marche. La fatigue commence à se faire sentir, et on est en train de s’engager dans une traversée aérienne, incertaine, chargés comme des mulles avec un coup de mauvais temps annoncé qui risque de nous passer dessus incessamment sous peu…
Donc on se calme, on pose les sacs, on monte la tente et on s’endort en moins de deux. Malgré le soin apporté à ne pas mettre la tente dans un creux (vu la pluie annoncée), on se réveillera au milieu d’une flaque. Une veine d’eau sort juste au-dessus de la tente, et la mousse en légère pente sur laquelle on est posé agit comme une énorme éponge. Après une grosse vingtaine d’heure passé sous la toile, la pluie commence à faiblir doucement. Le brouillard, lui, tient bon.
Vu les conditions, il n’est évidemment plus question de tenter la traversée aérienne. Un contournement des difficultés s’offre à nous par le sud, en descendant sur la route 815 à suivre sur environ 3km jusqu’au départ du sentier au niveau du lac Vikjordvatnet. De là, départ plein ouest pour une étape assez longue de plus de 25km en direction de Lekness. En chemin, la météo s’améliore et on croisera deux couples de sommets particulièrement faciles qui valent le petit détour.
Au bout de cette longue étape, une petite hutte sous un toit végétal pourrait nous permettre de passer une nuit un peu plus au sec après les pluies qu’on s’est essuyé. En passant la tête à l’intérieur, une petite dizaine de personnes saturent déjà l’espace disponible (à priori confo pour 4/ 5 personnes max). On passera donc la nuit un peu plus loin, mais voici la localisation de cette hutte ‘Kvilebu’, à toutes fins utiles… 68.21398°N 13.82365°E.
Un spot de bivouac sympa à côté du lac au doux nom de Tjuvhusdalsvatnet nous place en bonne position au pied du projet du lendemain. Après une nouvelle nuit humide, la météo n’est pas fameuse, mais l’objectif du jour parait moins aérien que celui abandonné précédemment. L’idée cette fois ci est de relier la ligne de crête (assez mole) entre les sommets du Bjørnlitinden et du Blåtinden. Une fois sur le terrain, la crête est plutôt facile à suivre, même si elle se complique légèrement sur les derniers mètres à l’Est du Blåtinden.
La suite de la journée consistera à rejoindre la ville de Lekness où nous attend une chambre chez l’habitant. L’itinéraire passe par le lac de Store, bordé par une autre magnifique hutte au toit et murs sacrément végétalisés, également 4 à 5 places dispo (68.18695°N, 13.75643°E). Une erreur d’itinéraire nous fait ensuite descendre dans une zone marécageuse à la recherche d’un ancien chemin indiqué sur les cartes, mais visiblement abandonné depuis longtemps. On comprend vite pourquoi.
Il traverse une grande zone humide peuplée de nuées de mouches et de taons, qui pèsent lourd sur le système. Mieux vaut rester à flanc à l’Est de la trace (sur le chemin bien marqué) après le lac de Store, ou rester sur la crête plus au Nord pour traverser plein Ouest par la colline de Stortuva jusqu’à la route E10, environ 3km au Nord de Lekness.
Lekness - Ramberg
Distance : 52 km
Dénivelé + 3 150 m
Dénivelé – 3 150 m
Les 5 jours de provisions achetées à Lekness devraient largement nous suffire pour atteindre le prochain (et dernier) point de ravitaillement à Ramberg. La journée est déjà bien entamée, et la sortie de Lekness n’est pas des plus intéressante. En levant le pouce, on pourra avancer un peu jusqu’à l’île voisine de Flakstadøya.
On rattaque à pied à la sortie du tunnel pour commencer la montée vers le Stornappstinden. Le sommet est pris à mi-hauteur dans un bloc de nuages denses. Ça ne servirait pas à grand-chose de monter là-dedans ce soir, d’autant qu’on ne sait pas encore si c’est vraiment faisable. On tire donc à flanc sous les nuages en direction d’un petit contre-sommet au Sud-Ouest: le Litinappstinden. D’après les cartes, c’est le versant qui présente les pentes les moins raides pour monter là-haut.
Le lendemain, la météo ne s’est pas améliorée, aucun intérêt de monter au sommet complètement dans les nuages. En descendant de notre bivouac, on trouve justement un chemin qui mène au sommet par son flanc Ouest, mais les chances qu’il sorte des nuages avant qu’on y arrive paraissent faibles. Par ailleurs, c’est plutôt étonnant qu’un chemin aussi marqué ne figure sur aucun fond de carte.
En cherchant un peu, les fonds de carte gratuits ‘open topo’ font figurer bien plus de sentiers que les fonds de carte payants de Norvège (dont ce chemin qui monte au Stornappstinden). Autre bonne nouvelle : la traversée de cette partie de l’île que nous avions imaginé uniquement avec les fonds de cartes Norvégiennes est confirmée par une sente sur ces fonds ‘open topo’. La suite de cette traversée s’envisage donc plus sereinement.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la suite du parcours ne sera pas décevante, et figure en bonne place parmi les plus belles portions de l’itinéraire global. Le chemin est peu marqué, mais matérialisé par quelques cairns qui suggèrent un passage au travers des grandes dalles de granit qui peuplent ce côté de l’île jusqu’au premier sommet du Litldalen, puis la sente prend un peu plus d’altitude jusqu’au Store Klauva, lui aussi encore à moitié dans les nuages.
A partir de ce premier sommet, le parcours reste sur les crêtes pour relier les trois sommets suivants. Dès qu’on sort du petit nuage accroché sur le premier sommet, un spectacle se dévoile sur l’île d’en face, et durera jusqu’au soir : le sommet du Moltinden un peu plus au Sud est pris par un lenticulaire qui enveloppe la moitié de la montagne. La sente restera sur les arêtes face à ce spectacle pendant encore quelques kilomètres.
Comme si ça ne suffisait pas, la vue s’ouvre progressivement sur le Fjord du Flakstadpollen : un trou bleu nuit entouré de bancs de sable bleu azur vient compléter ce paysage d’une autre planète. La journée touchant à sa fin, il est temps de commencer à se chercher un spot de bivouac. Observant la mer de nuages qui commence à se profiler par l’Ouest sous nos pieds, on vise un emplacement avec vue, en restant le plus haut possible.
La première option de bivouac se trouve sur le col qui sépare les deux sommets du Blekktinden et du Andopshesten. Mais si la mer de nuage arrive par l’Ouest, elle risque de déborder par ce col sur le bassin plus au sud. Il vaudrait mieux monter encore un peu sur l’un des deux sommets qui l’encadrent. Le Blekktinden à l’Ouest est a priori relativement facile d’accès par la route 600 mètres plus bas. Un spot sur l’Andopshesten (un peu plus difficile d’accès) serait la garantie d’une nuit sans visite. Encore faut-il trouver là-haut un emplacement pour poser la tente…
Dans tous les cas, on est arrivés au bout de nos réserves d’eau à force de rester sur les crêtes. Il faut trouver de quoi refaire le plein si on ne veut pas descendre passer la nuit plus bas. Un petit aller-retour au lac 300 mètres en contrebas du col réglera ce problème, et la chance nous sourira sur l’Andopshesten, avec une petite plateforme de mousse pile de la taille de la tente, deux mètres sous le sommet.
Comme prévu, la mer de nuage qui avait déjà commencé à se rapprocher des côtes pendant l’après-midi finit son accostage sur les îles en venant se heurter à ligne de crête sur laquelle on s’est posés, et se déverse effectivement sur l’autre versant de l’île par le col juste sous le sommet. La petite centaine de mètres d’altitude qui nous sépare du col permet de rester au-dessus des nuages et de profiter du spectacle qui durera une bonne partie de la nuit.
Au petit matin après cette nuit féérique, les cascades de nuages de part et d’autre du sommet se sont encore densifiées. On voit à l’œil nu les nuages dévaler les pentes du col pour mourir sur la façade Est de l’île, plus sèche car abritée de l’air océanique par les crêtes que suivent l’itinéraire. On restera encore quelques heures avant de parvenir à s’arracher de ce spectacle.
La fin de l’itinéraire jusqu’à Ramberg est assez incertaine. Cette fois ci, quelles que soient les cartes, aucun chemin ne permet de boucler par les crêtes. Le tracé prévisionnel est plus hypothétique que jamais. Pour descendre du Hestræva, on tracera droit entre les dalles de rocher, ça passe mais non sans mal. Il vaut mieux faire un petit détour par les pentes plus douce vers l’Ouest pour rejoindre le chemin qui descend plus tranquillement vers le lac du Ølkonvatnet.
Une fois rendus au sud du fjord de Flakstadpollen, la suite de l’itinéraire prévu traverse la chaine à l’Ouest du Fjord par le col au Sud du Stabben. Finalement, changement d’itinéraire en route au niveau du lac de Svartvatnet, en préférant les pentes herbeuses ( mais raides !) au nord du lac plutôt que les dalles humides au sud. Finalement ça passe plutôt facilement jusqu’au col qui offre un spot sympa pour la nuit. La fin du parcours est encore plus incertaine : on aimerait suivre les crêtes depuis ce col plein Nord jusqu’à Ramberg, mais ça ne parait pas gagné d’avance.
Le lendemain on se lance dans le parcours sans trop y croire. La traversée du Stabben par son sommet est bien gardée par plusieurs lignes de falaise. Mais contre toute attente, une sente de mouton nous guide sur une petite vire à flanc. Elle permet de contourner le sommet et de trouver un passage jusqu’au col au Nord du Stabben, puis d’enchainer sur les sommets des Pilten et Stordinden sans difficulté majeure. En revanche, un petit pas d’escalade nous fait redescendre d’une grosse centaine de mètres sous l’arête pour atteindre le dernier sommet du massif, le Moltinden.
La petite descente, puis la montée qui s’en suit pour accéder au sommet du Moltinden depuis l’arête seront assez épineuses : dans des pentes herbeuses très raides avec une exposition pas négligeable. A défaut d’une option moins risquée pour descendre de l’arête, mieux vaut ne pas se lancer dans sa traversée par terrain humide ou en cas de risque de pluie.
Malgré quelques errances, le sommet du Moltinden finit par se laisser grimper, au-dessus d’une mer de nuages qui s’écoule dans le bassin du Flakstadpollen, et dont dépassent quelques sommets pointus plus au sud. Ce sommet et la descente qui s’en suit sur la ville de Ramberg sous les nuages marque la fin de la deuxième étape pédestre de ce petit périple.
Ramberg - Å
Distance : 108 km
Dénivelé + 8 350 m
Dénivelé – 8 350 m
Pour ce troisième tronçon, il faut prévoir une grosse semaine d’autonomie en nourriture. Le Sud des îles abrite la partie la plus abrupte des Lofoten, c’est donc également la moins habitée. En parcourant les cartes, il est facile d’imaginer des itinéraires fantastiques. Pour autant, le fait qu’aucun chemin visible ne soit répertorié semble suggérer une certaine incertitude sur la faisabilité de nos itinéraires rêvés. On verra bien sur place. Toujours est-il qu’il faudra quelques provisions supplémentaires pour gérer cette incertitude.
Comme au départ de Lekness, on lève le pouce pour sortir de Ramberg, un couple Hispano-Norvégien nous avance de quelques kilomètres, jusqu’au pont qui nous permettra de rejoindre l’île de Moskenesøya. Assez rapidement, notre itinéraire rejoint le très classique itinéraire de Ryten, clairement l’un des plus fréquentés de l’île. La densité de randonneurs sur ce petit itinéraire nous parait invraisemblable. Alors que l’on n’avait pas croisé plus d’une dizaine de personnes depuis notre départ de Svolvær deux semaines plus tôt, en l’espace de quelques heures on croisera probablement une ou deux centaines de personnes sur un terrain marqué par le piétinement, délimité par des barrières et passerelles.
Le sommet du Ryten est complétement pris dans les nuages, un petit spot nous permet de planter la tente un peu à l’écart du sentier, en espérant que les nuages s’écartent du sommet le lendemain. Effectivement, le lendemain matin le plafond nuageux s’est éclaté en deux, laissant un plancher brumeux sous nos pieds au raz de la mer, et un nouveau plafond de nuages gris beaucoup plus haut. Une fois passé là-haut, on plie le camp sur la descente pour continuer notre route vers le sud en descendant sur la fameuse plage de Kvalvika où on s’offre une petite baignade revigorante au milieu des bancs de brume.
Cette plage abrite une petite cabane très originale, construite entre deux blocs rocheux, à partir de bois flotté, de bric et de broc. Comme l’explique la plaque signalétique de la hutte (rédigée et étonnamment bien conservée sur le dos d’un carton de pizza), elle a été montée de toutes pièces par deux surfeurs ayant décidé de passer un hiver complet sur cette plage. Elle a ensuite été complétée occasionnellement, tantôt par un poêle ou une vitre, le tout croulant sous les petits mots ou gravures laissées par les visiteurs.
Une centaine de mètres après cette première plage, une seconde se dévoile derrière un petit verrou rocheux, tout aussi belle, mais cette fois-ci complètement déserte. L’itinéraire vers le sud traverse ensuite une série de lacs étagés jusqu’au fjord de Selfjorden.
L’idée de base était ensuite de remonter pour poser le camp juste sous le sommet du Kitinden, mais le plafond nuageux est bas et probablement épais. D’autant plus que le mini lac que les cartes indiquent juste sous le sommet n’a pas l’air d’être alimenté par une source. Il y a de fortes chances que ce ne soit qu’une grande flaque, du coup il faudrait monter de la flotte, en plus des incertitudes sur le fait qu’on sorte la tête des nuages… Donc on préfère rester au ras du Fjord sous les nuages pour aviser le lendemain.
En sortant la tête de la tente, pas vraiment d’amélioration visible, mais d’après météo-blue le plafond est descenduentre 500 et 700 mètres d’altitude. Le sommet du Kitinden est à 750 m. On décide de tenter notre chance. Finalement (et comme très souvent) météo-blue avait raison sur la hauteur du plafond nuageux ; la dernière couche de nuages laisse place au soleil aux alentours de 600 mètres d’Altitude, même si quelques nuages plus courageux que la moyenne restent accrochés à l’arête jusqu’au sommet.
Une bonne fenêtre entre les nuages laisse quand même clairement voir le chapeau que le Ryten semble avoir enfilé pour la journée : un petit Pileus bien accroché qui se déverse dans les falaises en contrebas sans pour autant bouger d’un poil. Nos craintes sur le petit lac sous le sommet étaient justifiées : il n’est alimenté que par la fonte et les pluies de son tout petit bassin versant : il ne reste donc qu’une petite flaque de boue qui ne donne pas trop envie. Mieux vaut éviter de compter dessus pour un bivouac.
Une fois redescendus au bord du fjord et plié le camp, une piste longe le fjord sur 2.5km jusqu’au départ du petit sentier. La pampa laisse ensuite place à une forêt de bouleaux tortueux de Norvège jusqu’au lac de Fageråvatnet. L’arivée au col suivant offre un spectacle grandiose : alors que toute la montée se fait sous (puis –dans-) les nuages, l’ombre du Kråkhammartinden se projette au-dessus du col, annonçant une traversée de nuages imminente.
Au lieu de redescendre directement dans la vallée suivante, on décide de poursuivre sur l’arête juste au-dessus du col, qui semble se prolonger sur 3 ou 4 kilomètres vers le Nord, peut être jusqu’au Brasråstindan. Une fois de plus, le parcours d’arête est magistral. Le bassin du Selfjorden est plein à ras bord d’une mer de nuages qui se déverse de l’autre côté de l’arête par le col qu’on vient de franchir. Finalement, le parcours est débonnaire jusqu’au Branntuva.
Passé ce sommet, l’arête s’affine et le parcours devient incertain. En regardant les cartes de plus près, une descente très raide sur l’arête semble garder l’accès du Brasråstindan. L’ascension parait moins exposée depuis la plage en contrebas de son versant Sud, donc autant ne pas prendre de risque en passant par les arêtes aujourd’hui pour tenter le coup par le versant Sud demain. En redescendant le col en direction de la plage de Horseidvika, on traverse une cascade de nuages écarlates qui s’évaporent en glissant du col vers le fond de la vallée, créant une ambiance d’une autre planète.
Après une nuit sur le replat directement au pied du col, on se lance vers le sommet du Brasråstindan depuis la plage de Horseidvika. Cette grande plage est l’une des plus belles des Lofoten. Au pied d’une immense paroi rocheuse monolithique, un banc de sable blanc s’étend sur plusieurs centaines de mètres, parsemé de blocs de végétation qui forment autant de petits ilots de relief sur cette longue étendue. Même depuis cette plage, la montée au Brasråstindan n’est pas si évidente.
Pas de difficultés techniques majeures, mais aucun sentier monte là-haut, et il faut bartasser sur une bonne longueur dans des pentes herbeuses raides. Par deux fois, l’accès n’est possible que par un seul passage pas forcément évident à dénicher, mais le sommet en vaut la peine. Impressionnante de verticalité, la face ouest plonge directement dans l’océan 800 mètres plus bas. Les 300 premiers mètres semblent même être déversant.
Après avoir plié le camp laissé un peu plus loin dans la vallée, l’itinéraire continue plein Sud pour traverser un petit col qui mène au Kjerkfjorden, une ramification du fjord par lequel on était passé trois semaines plus tôt, lorsqu’on était encore en kayak. On ne sait pas s’il sera possible de traverser l’arête qui sépare les deux branches Nord du fjord. D’après les cartes, ça pourrait se faire, mais rien de certain. En ce début d’après-midi, le soleil est déjà bien avancé vers le sud/ouest, et toute la face est à l’ombre.
Impossible donc de valider d’ici la possibilité d’un accès depuis ce versant. A cette première incertitude, vient s’ajouter un poignet sur lequel il ne faut plus trop compter, endolori par la rencontre avec un bloc rocheux détaché de son emplacement lors de la descente du Brasråstindan. Pour achever tout soupçon de doute, le seul bateau quotidien qui permet de traverser le fjord arrive d’ici une vingtaine de minutes. On joue la sécurité (ou les petits bras, c’est suivant…) en montant dans le bateau qui accoste une trentaine de minutes plus tard au petit village de Vindstad, de l’autre côté de l’arête qui nous faisait peur.
Depuis le quai, un gros chemin mène à la plage de Buneset. La météo annonçant une brume maritime arrivant de l’Ouest, il vaut mieux prendre un peu de hauteur en montant passer la nuit sur l’arête qui mène au Helvetstinden. Un petit sentier monte facilement par l’Ouest sur cette arête (dont le versant opposé nous paraissait infranchissable). Finalement, vu de dessus, la montée aurait pu être faisable. Toujours est-il qu’on a été bien inspiré de monter ici plutôt que de passer la nuit en bas : une mer de nuage épaisse vient se heurter au pied des falaises en poussant un furieux courant d’air au premier col de Einangen et plongeant la plage un brouillard dense.
De là-haut en revanche, le spectacle est paisible. La mer de nuage s’agite sous nos pieds, doucement chauffée par le soleil de fin de journée, presque sans aucun souffle. Un spot de premier choix permet de poser la tente à mi-chemin entre le premier col de l’arête et le sommet du Helvetestinden où on ira diner avant de retourner à nos appartements quelque peu en contrebas.
Le lendemain, une petite tentative d’aller-retour au bout de l’arête s’impose. L’accès jusqu’au Helvetestinden et un peu aérien, mais une sente y mène et l’accès est relativement facile. Les choses se corsent un peu pour la suite de l’arête. La descente du premier sommet vers le suivant chemine entre les dalles rocheuses, et la possibilité de traverser parait peu probable vu de dessus. Petit à petit, une voie se dégage pour la désescalade du Helvetestinden, finalement pas si compliquée.
S’en suit une longue remontée sur le fil d’arête sans difficulté jusqu’au sommet suivant (à 686 mètres d’altitude), mais l’accès au sommet du Stamprevtinden, magnifique pyramide qui marque le bout de l’arête est plutôt bien gardé par une petite centaine de mètres de pente herbeuse très raide et exposée. Le terrain sec jouant en notre faveur, on se lance avec prudence, en gardant en tête que la descente est toujours plus compliquée.
Sous le sommet, une des plus belles arêtes des Lofoten s’élance vers le sommet voisin : un aileron de granit de 500 mètres relie le sommet du Moltbærtinden par une passerelle qui ne dépasse pas les 1 ou 2 mètres de large. C’est particulièrement tentant, mais l’eau commence déjà à faire défaut, et il vaudrait mieux éviter un retour trop déshydraté sur les passages délicats et exposés. Donc retour sur nos pas pour plier le camp et redescendre en direction de la plage de Buneset, nichée au pied de deux immenses falaises granitiques.
De retour sur la page de Buneset, il est possible de faire une petite boucle au sommet du Storskiva qui domine la partie Ouest de la plage. L’itinéraire est visiblement peu fréquenté. La trace est à peine visible, pour autant, le sommet est coiffé d’un cairn monumental, de ceux qui traversent les siècles. Au sommet, un local en visite avec sa fille nous indique une possibilité de boucler en descendant par le versant plus au sud, par le pas du berger, où son paternel l’avait amené 15 ans plus tôt. Toujours pas de chemin mais ça passe plutôt bien, en descendant au travers de grandes dalles rocheuses on trouvera facilement notre chemin jusqu’à la plage.
On continue ensuite plein sud, en longeant le bord du Forsfjorden via une petite sente pittoresque. Après une dernière nuit sur le rivage de ce Fjord, des dizaines de moules agrippées aux blocs rocheux du rivage nous font de l’oeil. Après trois semaines à rationner la nourriture, on ne perd pas beaucoup de temps avant de partir à la cueillette sous-marine. Finalement, on s’offrira un réel festin de moules en se faisant cuire 4 ou 5 popotes d’affilée avant d’attaquer la montée. Quelques poignées de mûres arctiques qui ne poussent qu’au delà du cercle polaire feront un dessert parfait.
Après avoir passé la nuit sur un petit mamelon coincé entre les lacs de Tennesvatnet et Krokvatnet, un petit aller-retour s’impose au Hermanndalstinden – sommet de l’île. Contrairement à ce qu’on a vu jusque-là, le sentier qui mène au sommet est bien marqué et ne présente pas de difficultés particulières, rendant le point culminant de l’île très accessible. Une fois là-haut, la partie sud de l’île apparait comme un haillon déchiré de bandes de terre se faufilant entre les fjords et les lacs.
La conception d’Elias semble prendre beaucoup d’énergie à Alex qui enchaine les siestes pour compenser. Il faut dire que ca fait quelques temps qu’elle ne mange plus grand chose non plus, ce qui n’aide pas à enchainer le dénivelé en itinérance. Malgré tout, elle persévère avec brio et une pugnacité impressionnante. Alors on adapte un peu le rythme, et on choisit les meilleurs spots possibles pour improviser des petites siestes en urgence lorsque le besoin s’en fait sentir.
La petite marge de sécurité qu’on avait pris nous permettra de rajouter un petit détour particulièrement intéressant. Une fois redescendu du sommet, on ira poser le camp sur le versant d’en face, au pied du Munken. En rêvassant sur les cartes, une petite boucle saute aux yeux. Il s’agirait de faire le tour des arêtes qui entourent le lac de Austerdalsvatnet, de l’autre côté du Munken en laissant le camp sur place. La traversée du col ouvre l’accès au bord du Djupfjorden. Après une petite pause dans les tapis de myrtilles, il faut ensuite remonter jusqu’au lac de Austerdalsvatnet enclavé au centre du petit parcours d’arête envisagé.
Une petite centaine de mètres au-dessus du lac, le sommet (sans nom) depuis lequel on était venu observer notre premier soleil de minuit -presque 4 semaines auparavant- est pris dans les nuages. La visibilité est particulièrement mauvaise. C’est un peu dommage pour la vue, mais c’est angoissant pour la partie la plus incertaine de l’arête. Si ça ne se lève pas d’ici là on risque de devoir rebrousser chemin. La partie facile de l’arête, à l’Est du lac, permet d’arrivant facilement au petit sommet à côté de la pointe de Navaren.
Difficile à juger de face, ça à l’air bien raide, mais pas forcément impossible. Un petit verrou parait quand même bien exposé. Si jamais on se rend compte une fois sur place que c’est trop risqué, il peut être contourné en redescendant quelques mètres pour ensuite remonter par une vire herbeuse qui pourrait bien mener jusqu’au sommet. Finalement, le verrou en question est des plus traitres. Un premier pas relativement facile mais très exposé qui incite à continuer dans cette voie, puis la difficulté augmente progressivement, avec quelques passages sur des dalles de plus en plus lisses.
D’ici, il faut attendre que la brume se lève pour avoir un visuel sur la montée au Veinestinden. C’est assez rageant, car le ciel bleu est à peine une dizaine de mètres plus haut, pour autant, on ne voit pas à plus de 20 mètres. En attendant, un couple de lagopède et ses 7 petits oisillons passent par là. Peu de temps avant la fin de l’ultimatum fixé, la mer de nuages s’ouvre par en dessous, laissant apparaître pour la dernière fois le fjord à trois branches derrière le village de Reine, mais surtout la montée vers le Munken par son arrête Ouest.
De manière générale, la descente étant plus complexe que la montée, tout particulièrement sur ce genre de terrain, on se retrouve pris dans une course en avant, où il est plus dangereux de faire demi-tour que de continuer, sans savoir exactement ce qu’il reste à franchir. L’erreur de débutant par excellence. Finalement, par chance, les difficultés sur roche s’estompent, mais laissent place à des pentes en herbe très raides et encore très exposées. Grosse erreur de parcours que de s’engager sur cette voie donc. Il aurait mieux valu redescendre un peu pour aller chercher un itinéraire moins risqué sur les pentes herbeuses un peu plus éloignées de l’arête. Après ces émotions, de nouveau sur le fil de l’arête, l’accès au sommet du Munchen devient beaucoup plus facile. Les vues depuis l’arête et le sommet offrent un magnifique panorama sur cette partie de l’île, l’une des plus belles. S’en suit la redescente pour de bon, plein Sud, en direction de Sørvågen.
Une enfilade de lacs étagés coincés entre différentes strates de dalles rocheuses marquent le paysage avant l’arrivée au Stuvdalsvatnet, dernier grand lac de montagne avant le village en contrebas. Ce lac alimente Sørvågen en eau potable, il est donc interdit de s’y baigner ainsi que de bivouaquer sur ses rives. Le bivouac est également réglementé aux abords du village, mais laisse libre un beau spot sur une petite presqu’ile au milieu d’un second lac au niveau de la mer (dans lequel la baignade est autorisée).
On profitera de cette opportunité pour faire un brin de toilette, avant de s’offrir un restaurant pour marquer le début de la fin du périple. Coup de bol ; un petit resto se trouve à une dizaine de minutes à pied de notre tente. Ce serait à priori l’un des meilleurs des Lofoten. Ils y servent d’excellentes langues de Morue, une spécialité du coin.
Après notre dernière nuit sur l’île, notre dernier jour sur place nous permet un petit aller-retour au village voisin de Å, autant pour la symbolique de retourner au ponton sur lequel on partait en Kayak il y a 4 semaines, que pour en profiter pour faire une petite virée sur le sommet qui domine le village. Une centaine de mètres avant le village, on observe pour la première fois d’immenses ailerons noirs, signe distinctif des orques qui peuplent l’océan sous ces latitudes. Ils sont relativement éloignés des côtes, mais les ailerons en question mesurent de 1 à 2 mètres de hauteur et sont clairement visibles à distance.
Un peu déçus de ne pas avoir fait cette rencontre en kayak, on les observe faire surface pendant un bon moment avant d’enchaîner avec un petit aller-retour sur l’Andstabben. Le sommet vaut franchement le détour, donnant un bon aperçu de l’extrême sud de l’île où aucune route n’accède, laissant ainsi ce bout de terre particulièrement sauvage. Un itinéraire permet d’accéder à cette partie de l’île par la côte ouest, moyennant 4 jours pour l’aller-retour. Ce sera pour la prochaine fois…
On en profite également pour faire un petit passage au musée de la ville, très tourné vers la pêche. Depuis la découverte de ces terres à l’époque Viking, les mois d’hiver sont marqués par la migration massive de milliers de cabillauds qui descendent des mers du Nord. Ces mois d’hiver ont donc toujours été associés à des pêches miraculeuses. Les photos du début du 20ème siècle exposées dans le musée représentent des mers littéralement remplies de petit bateau de pêche.
Fort heureusement, dès le début du déclin du nombre de cabillaud au début des années 1980, la Norvège a mis en place des cottas de pêche qui ont permis aux populations de continuer à se reproduire, allant jusqu’à tripler en nombre entre 1980 et 2015. C’est la venue de ces pécheurs pendant quelques mois chaque année qui est à l’origine des Rorbu. Ces petites cabanes rouges souvent sur pilotis construites directement sur le rivage, accessibles en bateau, étaient prévues à l’origine pour héberger les pécheurs.
Cette visite marque la fin de notre périple aux Lofoten. On retourne plier le camp laissé à Sørvågen, faire un dernier passage au restaurant de village avant de prendre le bateau de minuit à Moskeness qui nous ramènera sur le continent. Impossible de ne pas ressentir un petit pincement au coeur en voyant les îles s’éloigner depuis l’arrière du ferry. Une chose est certaine en tous cas ; on gardera un souvenir marquant de cet itinéraire au pays du soleil de minuit, pour tout un tas de raisons…
Infos Pratiques
Les fonds de carte topographiques de Norvège sont les plus précis que l’on ait jamais vu, de très loin. La différence avec les fonds de carte top25 françaises dont on aime dire qu’elles sont les meilleures du monde est frappante. Sur les cartes françaises, une ligne de niveau représente 10m de dénivelé, en Norvège, l’écart entre deux courbes ne représente que 2 mètres de hauteur, ce qui change radicalement la donne ! Ces cartes sont consultables gratuitement sur le portail norgeskart.no, et les fonds sont téléchargeables sur beaucoup d’applications de carto, souvent moyennant un abonnement. Sinon, et comme partout, les fonds de carte open topo maps sont gratuits, mais moins précis (avec parfois plus de chemins cependant…)
Il existent également de bonnes cartes papier au 1:50 000 qui référencent plus de chemin que le site de norgeskart, qu’on peut trouver dans certains magasin ou sur le site de l’éditeur Calazo
L’itinéraire que l’on a suivi comporte trois points principaux de ravitaillement fiables dans les villes de Svolvær, Leknes et Ramberg. Niveau nourriture, on trouve à peu près de tout dans ces magasins, qui ont des horaires d’ouverture assez larges. Pour le gaz, il est possible d’en trouver à Svolvær et Lekness, mais pas Ramberg :
KIWI Svolvaer Downtown : 68.2333°N, 14.5613°E
Extra Lekness : 68.1486°N, 13.6186°E
Bunnpris Ramberg : 68.0890°N, 13.2282°E.
Lorsque nous avons préparé cet itinéraire, il existait une petite douzaine de loueurs de Kayak sur l’ile. Peu acceptent de louer les Kayaks sur plusieurs jours, et les locations sans guide nécessitent généralement l’obtention préalable de la ‘WetCard’ ; un certificat d’aptitude à la pratique du Kayak de mer qui s’obtient après deux jours de stage sur place avec un guide.
Sur les trois agences qui proposent de la location ‘longue durée’ sans guide, une accepte (étonnamment !) notre première expérience de Kayak de mer aux Philippines comme suffisante pour ne pas exiger cette Wetcard. C’est donc Stig de l’agence Go2Lofoten qui acceptera de nous louer les Kayaks et de nous les déposer à l’autre bout des Lofoten. Encore un grand merci à lui pour sa confiance et sa fiabilité.
Nous avons un (et un seul) regret sur ce voyage, c’est celui de ne pas y être allé en train. Plusieurs itinéraires sont possibles en train, et il faut compter en moyenne 48h de trajet, pour un prix entre 300 et 600€ pour un Paris- Bodø. Les options par avions sont malheureusement beaucoup moins chères, et logiquement un peu plus rapides.
Une fois à Bodø, il est assez facile de rejoindre Moskeness en bateau moyennant 3 heures de traversée (un départ toutes les trois heures en haute saison, un ou deux bateaux par jour en basse saison, gratuit pour les piétons !)
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