Durée : 4 jours
Distance : 31 km
Dénivelé : 3 410 m
Massif : Himalaya – Népal
Point de départ : Bhotewodar
Coordonnées du point de départ : 28.1501°N, 84.4394°E
Si la randonnée au Népal est souvent synonyme d’itinéraires spectaculaires parfois très fréquentés, le pays regorge également de petites sentes utilisées par les habitants pour rejoindre des villages perchés à flanc de montagne. Cet itinéraire est de ceux-là. L’objectif initial était de nous acclimater progressivement aux altitudes himalayennes. Pour autant, ce fut l’une des virées les plus riches en rencontres de notre séjour au Népal. Après des heures de marche, a l’écart de toute route, nous avons trouvé une petite école où une enseignante faisait classe à quelques élèves, des centaines de mètres au-dessus du fond de la vallée, mais nous n’étions pas encore au bout de nos surprises…
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Itinéraire complet
Jour 1
Distance : 10 km
Dénivelé + 910 m
Dénivelé – 392 m
Fraichement débarqués au Népal, on profite d’un court séjour à Kathmandu pour faire réparer un sac. L’armature métallique s’est brisée, mais elle sera réparée de manière ingénieuse par le mécano du coin. Aujourd’hui, deux ans après, la réparation tient encore, et sera certainement la dernière partie du sac à rendre l’âme. Après un trajet un peu chaotique, on s’échappe du bus avant son terminus, au niveau du village de Bhotewodar, pour s’enfoncer dans la vallée en remontant la rivière Dordi.
Une petite dizaine de kilomètres plus loin, on arrive au pied du sentier qui marque le début de la montée. Des marches ont été réalisées, c’est finalement un escalier de roche qui s’étire sur plusieurs centaines de mètres de dénivelé au travers de la forêt. Un travail phénoménal permettant aux habitants des petits villages au-dessus de rejoindre le fond de la vallée. Alors que ce dernier s’éloigne, les maisons et cultures en terrasse se succèdent, le pays semble construit verticalement.
L’après-midi touche à sa fin. Alors le sentier révèle son utilité pour les habitants, écoliers et professeurs qui descendent des villages du dessus. On pose le camp sur une terrasse abandonnée, en pensant le spot discret. Il va commencer à falloir être vigilent sur les réserves d’eau. Le petit parcours qu’on a prévu suit la ligne de crête pendant encore deux ou trois jours. Tant qu’on croise des villages, on est assurés de trouver de l’eau, mais ça ne durera certainement qu’un temps.
Jour 2
Distance : 7.7 km
Dénivelé + 1 470 m
Dénivelé – 285 m
Alors qu’on pensait avoir été plutôt discret en s’installant ici, nous aurons la visite d’un groupe d’enfants en chemin pour l’école, dès les premières lueurs. Ils semblent avoir quelques minutes de rab dans leur trajet, qu’ils décident de passer à inspecter le camp, amusés. Nous sommes assez loin des circuits classiques, et à en juger par leur curiosité ils ne semblent pas croiser souvent de randonneurs par ici. Ils repartent aussi subitement qu’ils sont apparus, visiblement à cours de temps avant le début des cours.
Nous aurons le droit à une autre visite, préméditée celle-ci. La nouvelle de notre installation à déjà fait son chemin alors qu’il n’est que 6h du matin. Une vieille dame quitte le chemin pour venir à notre rencontre, d’un pas bien décidé. C’est notre premier bivouac sauvage au Népal, on ne connait pas encore la tolérance des habitants pour ce genre de pratique… Sans dire un mot, elle sort de son sac une petite bouteille de lait, encore tiède de la traite du matin, et la pose devant notre camp. Pris de court, on a à peine le temps de lancer un “dhanyabad”, certainement incompréhensible, et la voilà repartie, toujours sans prononcer un mot. Une rencontre aussi touchante qu’éphémère.
De nouveau en route, on s’arrête dans le dernier petit hameau pour boire comme des barriques et remplir les stocks d’eau. Avec 4 litres par tête, ça rajoute pas mal de poids sur les épaules, mais il faudra au moins ça. A peine repartis, une pose s’impose sur la dernière bâtisse du village. C’est une petite école. On passe la tête par la fenêtre et on découvre un groupe de bambins en plein cours. L’institutrice nous invite à entrer. Deux pupitres sont alignés au fond de la petite pièce, chacun accueille trois marmots, en temps normal. On dirait bien que le plus polisson a été mis à l’écart, seul sur une petite table devant la fenêtre.
Alors on s’installe dans un coin, en essayant tant bien que mal de se faire oublier pour assister à la leçon. Evidemment, c’est peine perdue. Les enfants semblent surexcités. Le petit polisson polissonne, le rang du fond fanfaronne, il n’y a bien qu’une petite au premier rang qui semble se moquer éperdument de notre présence, absorbée par son cahier d’exercice. La maîtresse semble malgré tout gérer tout ce petit monde avec ce qu’il faut de fermeté et de douceur. Aidant un premier, corrigeant un second et entonnant une comptine reprise à tue-tête par le reste de la classe.
Après avoir fait nos adieux à toute la troupe, on se remet en route vers les hauteurs. L’air est lourd, les sacs aussi. On transpire sévère, ce qui est plutôt problématique étant donné qu’on n’est pas sûr de trouver de l’eau les prochains jours. Finalement, l’orage éclate en même temps qu’on arrive devant un petit abri abandonné. On laisse passer l’averse abrité sous le toit en tôle, puis les nuages noirs s’écartent, laissant apparaitre les hauts sommets plus au Nord.
Le sentier se faufile ensuite entre les Rhododendrons géants, en fleur à cette période de l’année. Un troupeau du buffle semble étonné de notre présence ici, le berger qui les accompagne également. On lui explique à grand renfort de signes qu’on essaye de suivre un sentier sur le fil d’arête, parce qu’on trouve ça joli. Ça le fait beaucoup rire, même s’il y a peu de chance qu’il comprenne ce qu’on essaye de dire. C’est peut-être plus lié à nos étranges dégaines…
Au coucher de soleil, une petite clairière s’offre à nous. C’est à peu près plat et la vue est plutôt bien dégagée, alors on ne se fait pas prier. Vers le couchant, on devine déjà les sommets blancs des Annapurna, et les deux petites pointes du sommet emblématique du Machhapuchhare. Quelques nuages s’accrochent sur ces murailles verticales, avant de s’enflammer sous les lumières du couchant.
Jour 3
Distance : 5.8 km
Dénivelé + 895 m
Dénivelé – 130 m
Le lendemain, ça caille déjà pas mal au réveil. Une pellicule de givre recouvre la prairie qui scintille sous les premiers rayons du soleil. Alors que le thé commence à fumer, un grand chien nous rejoint. C’est une belle bête, le pelage noir profond et la queue en panache. Ses aboiements ne nous rassurent pas. En nous assoyant dans l’herbe, il s’apaise. Mais d’où peut-il sortir ? Notre petit déjeuner semble l’intéresser… Il faut s’employer à le tenir à distance de nos popotes. Quelques minutes après, son maitre apparait à l’orée du bois. On lui fait signe de venir nous rejoindre.
Lorsqu’il arrive, un détail nous frappe, et pas des moindres : il est pied-nu ! Il ne fait pas loin de zéro degrés, le sol couvert de broussailles commence tout juste à dégivrer. Il n’a pas non plus de pantalon, mais une sorte de petite jupe qui lui arrive au-dessus des mollets, une chemise à laquelle il ne reste plus que deux boutons, une veste qui ne ferme visiblement plus, et une capuche dépareillée. Tout sourire, il se prête volontiers à une exploration de notre tente. On partage un bol de thé, quelques biscuits avant de commencer à tout remballer.
Il nous reste encore un peu d’eau, mais certainement pas assez pour la journée, s’il vit ici, c’est qu’il doit y avoir une source pas loin. En lui montrant nos gourdes à moitié vide, il comprend tout de suite notre problème et nous fais signe de le suivre. Il cavale à toute allure, pieds nus dans le sous-bois couvert de branches qui craquent sous nos grosses pompes de rando. Il s’arrête au pied d’un arbre, nous montrant une petite flaque d’eau trouble. C’est mieux que rien, alors on récupère trois litres, qu’on filtrera plus tard.
Emus par cet homme souriant, menant une vie loin de tout et de tous, suspendu à flanc de montagne et dépendant d’une petite flaque d’eau, on lui laisse en partant une veste qui pourra l’aider à faire face la rudesse du climat pour les jours moins clément.
S’en suit une belle portion d’itinéraire en forêt. Le soleil encore rasant se faufile entre les feuilles pour se poser sur un tapis de mousse. Le chemin se fait de plus en plus minimaliste, en partie colonisé par cette végétation, pour autant, l’itinéraire n’est pas compliqué à suivre. Il suffit d’avancer sur la crête douce, qui devraient nous amener au bout de cette étape, un petit sommet sans nom qui devrait offrir une belle vue sur les massifs environnants.
On arrive au sommet en question en fin d’après-midi. La vue est effectivement dégagée, la forêt ne monte pas jusqu’ici, mais c’est au tour des nuages d’occulter la vue sur les sommets pour la soirée. Une petite brise fraiche arrosée de quelques gouttes nous pousse au fond des duvets pour la soupe quotidienne. Peut-être qu’on aura plus de chance pour le lever de soleil…?
Jour 4
Distance : 7.6 km
Dénivelé + 137 m
Dénivelé – 1 240 m
Le lendemain, pas un nuage à l’horizon. Les neiges éternelles des hauts sommets quelques kilomètres au-dessus de nos têtes prennent les premiers rayons de soleil, perdus dans un ciel encore bleu nuit. Les quelques gouttes tombées pendant la nuit ont directement gelé sur la tente, créant une couche de billes glacées, chatouillées par les lumières feutrées du lever de soleil. On profite un bon moment de la clémence des lieux avant l’arrivée du vent et des nuages.
On a fini nos dernières gouttes d’eau du village, alors il faut filtrer les réserves qu’on s’est fait dans la flaque du berger nus pieds. On fait passer ça dans un soutif sale, pas dit qu’on gagne au change, mais l’eau sort plus claire… On aurait bien continué à explorer l’arête un peu plus loin, mais demain c’est le Holi. Cette fête Hindoue consiste à s’asperger de pigments de couleurs, qui symbolisent les cendres de Holika, démon brûlé par Vishnu.
On espère être rentrés ce soir dans la ville la plus proche, Pokhara, pour assister à ce festival de couleurs, alors tant pis pour l’arête. Donc on plie tout notre attirail pour attaquer la descente, sur une autre arête qui descend vers le Sud. En route, on croise une équipe d’une vingtaine de Népalais qui sont ici pour ouvrir un itinéraire de randonnée. Ils semblent étonnés de nous croiser, et nous demandent des information sur l’itinéraire que nous avons suivi.
Le passage de touristes dans une région comme celle-ci est synonyme de revenus pour les locaux, les agences de trek et la région. Ouvrir un nouvel itinéraire est donc une sérieuse entreprise. Le maire du village de départ, le directeur de l’agence de trek, une équipe de tournage et une quinzaine de porteurs sont de la partie. Au fil de la discussion, on leur explique notre envie d’arriver à Pokhara le soir même pour assister à la fête du Holi le lendemain.
Ils nous expliquent que les dates de la fête dépendent des régions. Ici, c’est aujourd’hui. En voyant notre déception, ils ouvrent les sachets de poudre de couleur, initialement prévus pour le sommet. Alors on se peinture de quelques marques au visage, en se souhaitant le « happy Holy ». Ce ne sera pas l’effervescence du festival dans les villes, mais c’est beaucoup plus original. Après leur avoir souhaité bon courage dans leur projet, on continue notre petit bout de chemin en direction du village quelques kilomètres plus loin.
Après avoir rejoint un sentier pavé, on marque la pause devant une stupa chargée de drapeaux de prières. Petit à petit, une rumeur remonte de la vallée. D’abord à peine audible, elle se fait de plus en plus claire, ce sont des chants. Quelques minutes plus tard, un groupe d’un quinzaine de femmes endimanchées arrivent à la stupa, visiblement l’objectif de leur excursion. S’en suit une démonstration de champs, de danses et d’allégresse.
Elles aussi sont venues avec des provisions de poudre de couleur. Beaucoup de provisions. On se fait asperger copieusement. Après avoir partagé un bon moment avec elles, on leur libère le plancher pour redescendre jusqu’au village juste en dessous. Une route ! ou plutôt, une piste, mais qu’importe, on va bien trouver une voiture ou un bus pour nous redescendre jusqu’à Pokhara, peut être pourrons nous assister à la fin de la journée de Holi là-bas.
Une heure passe, aucune voiture à l’horizon. Alors on interroge les villageois sur le prochain bus. Demain : peut-être. Après demain : sûr… Alors qu’on commence à envisager de descendre à pied, la joyeuse troupe que nous avions rencontré là-haut arrive au village, et un bus sort de nulle part. C’est le bus qu’elles ont affrété spécialement pour l’occasion pour venir jusqu’ici. Peut-être, pourrions descendre avec elles ? Bien-sûr, mais pour l’instant, il faut danser.
Alors, pendant une heure, les chants et les danses s’enchainent. Notre participation n’est pas optionnelle. Alors, on participe, avec plus ou moins de succès. A en juger par leurs rires, on est bien loin de maitriser les codes de la danse traditionnelle Népalaise. Quelques villageois se sont joints au cortège et alimentent les réserves de poudre, participant activement à l’ambiance festive de l’après-midi.
Au coucher de soleil, tout ce petit monde embarque dans le bus, nous avec. A vol d’oiseau, le fond de la vallée est à une vingtaine de kilomètres. Alors qu’on s’attendait à une petite heure de bus, le trajet durera finalement plus de trois heures, mais les rebonds du bus n’auront pas raison des chants et des danses qui continueront jusqu’au fond de la vallée. L’ambiance se calme seulement à mesure que les participants descendent pour rejoindre leurs maisons.
On arrive donc au milieu de la nuit dans la vallée, les champs entêtants de l’après-midi résonnent encore dans nos têtes pour quelques jours, alors qu’on prépare notre prochain périple dans les Annapurna.
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Quel reportage passionnant!