Durée : 6-10 jours
Distance : 118 km
Dénivelé : 11 800 m
Massif : Mont-Blanc, Valais – France/Italie/Suisse
Point de départ : Le tour, vallée de Chamonix
Coordonnées du point de départ : 46.00409°N – 6.94623°E
Cet itinéraire relie deux capitales alpines majeures, au pied de deux sommets emblématiques des Alpes, le Mont Blanc et le Cervin. Il existe de nombreuses versions de ce parcours mythique, en ski, à pied, par les glaciers ou les vallées verdoyantes. Nous avons choisi une version assez alpine, qui fait la part belle aux glaciers sans pour autant faire l’impasse sur les tapis d’edelweiss.
L’itinéraire en soi ne présente pas de difficulté majeure, mais nécessite de maîtriser les techniques de base de sécurité sur glacier. Vu que ce n’était pas franchement notre cas, on a commencé par une journée d’école de glace avec un guide. L’itinéraire était planifié, les provisions empaquetées, mais nous nous en sommes remis au jugement du guide sur notre capacité à nous lancer dans l’itinéraire. Après une journée à réviser, apprendre et mettre en application des techniques d’évolution sur glace et sortie de crevasse, Fred, notre guide semble satisfait de nous. D’après lui, on a les capacités pour se lancer dans cette aventure. Après une petite bière pour fêter la bonne nouvelle à Cham, on remonte en direction du village du Tour au fond de la vallée.
Video
Itinéraire complet
Première partie : Chamonix - Orsières
Distance : 29.8 km
Dénivelé + 3 640 m
Dénivelé – 3 210 m
Départ en fin de journée, après le coup de chaud du milieu d’aprem. On choisit l’itinéraire qui monte au plus direct en direction du glacier du Tour environ 1 000 mètres au-dessus du village. Assez vite, le soleil bascule derrière le massif des Aiguilles Rouges et l’obscurité s’installe au fond de la vallée. Par moment, le chemin est assez escarpé et le matos de glace pèse sur les épaules, l’ombre galope bien plus vite que nous sur ces flancs abrupts, elle nous dépasse alors qu’on se rapproche du front de glace. Ça suffira pour aujourd’hui, on pose le camp quelques centaines de mètres avant d’arriver au niveau du glacier du Tour qui souffle un vent glacé.
Alors que le kit de réparation de matelas n’avait pas quitté les sacs à dos depuis 4 ans, nous avons décidé de l’enlever pour cette sortie, histoire de gagner 32 grammes. Donc évidement, un petit trou en a profité pour faire son apparition sur un des matelas. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne reste plus que 7 ou 8 nuits à dormir sur les cailloux ou sur la glace avant notre arrivée à Zermatt…
Toujours pour marquer le coup, en plus du matelas dégonflé, la tente s’est fait chahuter toute la nuit… La sonnerie du réveil est donc la bienvenue, malgré le manque de lumière sur ce versant Ouest. On se remet vite en route pour se faire cueillir par le soleil au moment de notre arrivée devant le refuge Albert 1er. C’est une grande bâtisse qui domine le glacier du Tour, inaugurée en 1930 par le roi des Belges, Albert 1er, qui mourra peu de temps après dans un accident d’escalade, en Belgique… Comme quoi, le danger est souvent là où on ne l’attend pas.
On continue notre route en direction du col Supérieur du Tour en passant par le glacier du même nom, peu ouvert malgré la chaleur accablante. On croise quelques cordées sur la descente, beaucoup reviennent de la Tête Blanche ou de l’Aiguille du Tour. On est un peu tardif pour se lancer sur un sommet aujourd’hui… Dommage. L’arrivée au col se passe sans encombre, on peine un peu avec nos sacs, mais c’est le prix à payer pour avoir la liberté de dormir où bon nous semble.
On arrive au col en même temps que deux hollandais, eux aussi en autonomie mais avec 12 jours de rations sur le dos ! (contre à peine 3 pour nous…) alors qu’on discute le bout de gras, un énorme nuage se prend les pieds dans les Aiguilles Dorées qui ferment le plateau de Trient, de l’autre côté du glacier du même nom. La météo se gâte à une vitesse impressionnante et nous laisse à peine le temps de nous engager sur le glacier avant les premiers grêlons. Pas si grave, on pose la tente fissa en plein milieu du plateau glaciaire, entre deux lignes de fissures.
Les aiguilles autour de nous serviront de paratonnerre, et on risque d’en avoir bien besoin… Les arceaux, piolets et bâtons font des bruits d’abeilles franchement pas rassurants. Les éclairs déchirent le ciel et semblent tomber à portée de sardine.
Le lendemain, le ciel est dégagé, réveil à l’aube pour un départ au lever du soleil. Vu qu’on est là, on va en profiter pour faire un petit aller-retour à l’Aiguille du Tour, juste au-dessus. Une fois passée la rimaye, il faut faire un peu de varappe sur du rocher assez instable pour accéder au sommet. La principale difficulté consiste donc à ne pas balancer de caillasse sur les cordées en dessous et à rester attentif à ceux qui pourraient venir d’au-dessus.
Juste avant l’arrivée au sommet, un petit passage en dalle rajoute un peu de piquant à l’itinéraire avec quelques pas d’escalade certainement cotés entre 4 et 5. Pas de quoi effrayer un velu des Alpes mais pour des grimpeurs du dimanche comme nous, ça rajoute un peu de sensations… Le panorama du sommet offre une vue originale sur le massif du Mont Blanc, dont le sommet dépasse derrière l’enfilade des Aiguilles du Chardonnet, d’Argentière, de la Verte et de ses copines.
Vu l’endroit d’où arrivent les cordées suivantes, on comprend que notre petit passage en dalle ne faisait pas partie de la voie normale qui passe quelques dizaines de mètres plus bas par un passage bien plus facile, plus agréable pour la descente. On retourne au camp qu’on remballe dans les sacs pour entamer la descente sur Orsières. Il faut d’abord traverser le glacier du Trient, un grand plateau glaciaire borné par une succession de flames de pierre des Aiguilles Dorées. Derrière, le glacier d’Orny nous ramène en douceur sur le plancher des vaches à Toblerone.
Environ 2 500 mètres de dénivelé plus bas, on arrive sur les rotules au village d’Orsière, 10 minutes avant la fermeture de la superette où on fait des provisions pour les 3 prochains jours. Pas mécontents de notre timing de la journée, on prend le temps de s’offrir une mousse au bar du village, sensée nous donner des forces pour remonter jusqu’au Mont brulé, 1 500 mètres au-dessus de nos bières. On attaque la montée à 19h, à la fraiche. Pour l’instant on est encore bien décidés à monter jusqu’au sommet pour profiter du lever de soleil le lendemain matin.
Deux heures plus tard, la nuit noire nous rattrape et il reste encore la moitié du chemin à faire. On progresse sur le tracé du Vertic’Alp, un trail qui monte effectivement droit dans la pente en direction du sommet, plutôt éprouvant avec 30 kg sur le dos… Après un petit encas, on sort les frontales et on se remet en marche en faisant semblant de ne pas voir la débilité de notre plan. On s’échouera 1h plus tard au bord du chemin, à bout de forces, encore plusieurs centaines de mètres sous notre objectif. Trop fatigués pour manger, on s’écrase au fond de la tente dans un sommeil d’une profondeur abyssale sous un ciel blanc d’étoiles.
Deuxième partie : Orsières - Mauvoisin
Distance : 28.9 km
Dénivelé + 3 880 m
Dénivelé – 3 250 m
Le lendemain, le soleil se lève sans nous. Les quelques centaines de mètres qui nous manquent pour atteindre le col nous font de l’ombre, on aurait été mieux là-haut mais nos jambes ont eu raison de notre motivation. C’est un mal pour un bien, à peine remis en marche, le chemin trace dans des tapis de myrtilles que l’on aurait certainement raté en montant à la frontale. Une petite heure plus tard, la popotte est remplie de baies qui agrémenteront les porridges à venir. On arrive assez rapidement sur le Mont Brulé, accueillis par des centaines de fourmis ailées qui nous poussent à ne pas trop trainer.
On enchaine donc vers le Mont Rogneux, mais le ciel se charge rapidement, alors on n’écoute pas trop les guibolles qui souffrent de l’étape de la veille et on accélère le pas pour passer le sommet avant que ça pète. Finalement, l’orage passe quelques kilomètres au Sud, nous laissant le temps de sortir le pique-nique au sommet. La trêve sera de courte durée. Un autre orage aborde le massif, et vu la direction qu’il prend, peu de chances qu’on y échappe, alors on plie et on descend.
Sur la route, juste sous le sommet, un petit lac de fonte nous permet une petite baignade histoire de se décrasser, Les premières gouttes de pluie arrivent en sortant de l’eau. Tout propres sous nos ponchos, on commence la descente sous la flotte. Rapidement, la roche laisse place à une pelouse sur laquelle il devient possible de poser la tente. On ne se fait pas prier. La pluie s’acharne sur la toile de tente et ruisselle vers les sardines sans arriver à nous atteindre. Bloqué au fond des duvets, bercés par le tambour délicat des gouttes sur le polyester, on ne tarde pas à sombrer.
Au réveil, plus aucune trace des nuages de la veille. Alors on se met en marche avec la ferme intention de rattraper l’après-midi sous la tente. Environ 5 minutes après s’être mis en branle, on tombe sur une petite cabane. La fumée qui sort d’une petite cheminée suggère une présence humaine. En se rapprochant, une ardoise indique : « tarte au lait – 4 francs ». Un vieux monsieur sort et on commence à discuter. D’après lui, le bivouac, ce n’est plus de son âge mais c’est fantastique.
Il nous partage de bon cœur les meilleurs emplacements de tente de la vallée, alors forcément, on pose les sacs pour essayer cette tarte au lait. Effectivement, ça fait du bien par là où ça passe.
Les premiers nuages arrivent tôt aujourd’hui, il faut qu’on songe à avancer. Peu de temps après être partis, un premier nuage menaçant passe entre le mont Rogneux et le Petit Combin. Le conseil du vieil homme résonne dans nos têtes. « Ici, on a un micro-climat fantastique, en général, les orages sont déviés vers le Mont Gelé au Nord, ou vers le Grand Combin plus au sud. En revanche, quand ça arrive par le col de Lâne c’est l’apocalypse. » et c’est précisément ici que le ciel noircit.
Dix minutes plus tard, nous sommes sous des trombes d’eau. On force le pas pour passer le col des Avouillons avant que ça ne se gâte davantage. Ça pourrait être pire que ça ? Un long craquement sec dans le ciel nous apporte la réponse. En basculant de l’autre côté du col, un troupeau de mouton détrempé semble chercher désespérément un abri, mais une fois en bas, la pluie s’estompe au moment de traverser la passerelle suspendue au-dessus du torrent qui sort du glacier de Corbassière. Sur le versant d’en face, un petit chemin permet de rejoindre le dernier col avant de descendre sur Mauvoisin.
Au fond de la vallée, le Grand Combin reste coiffé de nuages qui défilent autour du sommet sans lui laisser profiter de l’éclaircie qui semble se généraliser. Sa face Est croule sous la glace qui se déverse dans le glacier de Corbassière en contrebas. C’est par là que nous serions arrivés si nous avions opté pour une variante plus alpine de l’itinéraire, par le col du Meitin, mais les crevasses béantes nous confortent dans l’idée qu’il s’agit plutôt d’un itinéraire d’hiver. Le col de Otanes est le dernier point de vue sur cette vallée glacière dont on s’éloigne à contrecœur. Grand Combin, nous nous reverrons.
On redescend ensuite dans la vallée de Mauvoisin, en espérant pouvoir regarnir nos sacs de provision à l’hôtel du fond de la vallée. Première bonne nouvelle, l’établissement est bien ouvert, les cuisines aussi. On s’offre le luxe de deux burgers, certainement parmi les meilleurs que l’on ait mangés jusque-là (et ce ne sont pas -que- les estomacs affamés qui parlent). On repart les ventres pleins, avec quelques morceaux de pain, du jambon sec et du fromage dans le sac. L’itinéraire reprend au travers d’une galerie de l’immense barrage qui occupe le fond de la vallée.
On adore râler contre la bétonisation des alpes, mais là, difficile de ne pas être admiratif devant la prouesse technique. Le barrage en lui même n’est que la partie visible, mais la véritable prouesse réside dans la construction de réseaux de galeries associées qui permettent de traverser des massifs entiers pour alimenter les bassins de rétention plus bas. Près de deux tiers du mix énergétique du pays provient de l’hydraulique. En même temps, vu le relief du pays, ils ont de quoi faire… Quelques kilomètres plus loin, on tombe les sacs avec l’arrivée de la nuit sous une pluie fine.
Troisième partie : Mauvoisin - Dent d'Oren
Distance : 25 km
Dénivelé + 2 350 m
Dénivelé – 1 510 m
Le lendemain, on continue de s’enfoncer dans la vallée de Mauvoisin pour remonter ensuite le glacier d’Otemma, en glace affleurante. Le risque de pont de neige est donc forcément minime. En Aout, les microparticules de roche sur la glace diffusent la chaleur du soleil en créant autant de petits trous dans l’épiderme du glacier. Cette surface irrégulière offre une bonne accroche sous les semelles, donc pas besoin de cramponner ni de s’encorder pour l’instant.
En arrivant au pied du petit Collon, le glacier se sépare en deux branches de chaque côté du petit sommet, coincé au beau milieu d’un champ de glace. Au fur et à mesure que l’on gagne en altitude, la neige commence à recouvrir la glace, alors on sort les baudriers et crampons, au cas où on passe dessous. On vise un petit promontoire rocheux au-dessus du glacier pour passer la nuit.
Après une heure à terrasser, on arrive à dégager une petite plateforme de la taille de la tente avant d’être englouti par les nuages. On en profite pour prendre soin des pieds qui commencent à souffrir sévèrement des nouvelles pompes d’alpi, certainement trop rigides pour ce genre de balade…
Malgré tout, on espère que le ciel se dégagera dans la nuit, ce qui nous permettrait une petite escapade matinale.
Réveil bien avant l’aube, le ciel est encore plein d’étoiles. On abandonne notre tente pour une virée sur la pigne d’Arolla, un petit sommet en glace quelques centaines de mètres au-dessus de notre camp. On en profite pour mettre en application les techniques de progression sur glace raide qu’on a appris quelques jours avant avec Fred. Petit à petit, les étoiles s’estompent et l’horizon commence à blanchir, puis le soleil frappe la face Sud-Est d’Arolla qui scintille sous les rayons rasants. Pas un souffle de vent, température idéale.
Peu après, le sommet s’offre à nous. D’ici, on domine le grand plateau de glace qui occupe le col de la Charmotane, lui donnant des allures polaires. Les sommets orientaux apparaissent et la pointe acérée du Cervin signale dans le paysage l’emplacement du point d’arrivée de l’itinéraire. Il reste encore une petite bambée… Après s’être imprégnés de l’ambiance emmitouflés dans nos plumes, on retourne au campement pour un deuxième café. L’objectif de la journée semble à portée de bras, on envisage d’aller dormir sur la pointe d’Oren, juste en face.
La traversée du col de la Charmotane semble durer une éternité. Le désert blanc qui occupe le col tend à faire perdre la notion des distances, et donc du temps. Le dôme de glace qui marque le sommet des aiguilles d’Oren où nous pensons poser la tente semble rester toujours aussi proche, sans pour autant se rapprocher d’un poil. Etrange sensation propice à la rêverie. Retour à la réalité, sur une portion qui nous paraissait bien fermée, la neige se dérobe sous une empreinte et ouvre une petite cheminée sur un trou dont on ne voit pas le fond. Principalement par chance, un peu par réflexe, on reste au-dessus de la croûte de glace. La corde se tend, elle est là pour ça. On se remet en route.
Quelques temps après, disons entre 10mn et deux heures plus tard, on arrive sur la rimaye, crevasse béante qui marque la démarcation entre la croûte de glace figée qui recouvre le sommet et la partie en mouvement du glacier, d’où la glace entame un périple de plusieurs décennies vers le fond de la vallée. Pendant l’hiver, les chutes de neige et les séracs viennent en partie combler ce vide. Au cours de l’été, le glacier continue d’avancer mais n’est plus alimenté par en haut. Il se détache alors de la paroi en créant un gouffre béant pouvant atteindre plusieurs mètres de large et des dizaines de mètres de profondeur. Il faut alors chercher un pont de neige qui nous paraisse suffisamment costaud pour le traverser. Pas de photos ici, moment intense, mélange d’intuition, de pif et de trouille. Ça passe.
Une petite pente de glace permet de rejoindre facilement le sommet arrondi. L’endroit est particulièrement photogénique. Personne en vue, on sort le coucou à hélice pour un vol en automatique pendant qu’on avance sur l’arête. Sans aucune analyse des conditions, on lance l’engin qui entame sa rotation. Chahuté par une grosse brise de pente qui monte du versant sud, il perd de l’altitude et en quelques secondes disparaît derrière la crête. Branle-bas de combat, on lance les opérations de recherche.
Par chance, le retour vidéo avant l’impact nous permet de voir que l’arête n’est pas cornichée. Pour autant, un mur vertical de quelques mètres de neige nous empêche d’aller voir plus loin, l’affaire paraît mal engagée. Directement à l’aplomb de la zone d’impact, un précipice de deux à trois cents mètres. En contournant l’arête on trouve une vire rocheuse qui nous amène au pied de la meringue de neige, à priori là où le coucou aurait percuté le mur. Pourtant, impossible de retrouver sa trace. Après quelques aller-retours sur la vire, la tension monte d’un cran. Peut-être est-il juste en dessous ? On sort le descendeur.
Le premier assure depuis la vire rocheuse pendant que l’autre descend de quelques mètres. On sillonne le haut de la paroi pendant plus d’une heure. Rien. L’endroit n’est pas idéal, il faut mettre de côté la colère coupable qui monte pour essayer de garder la tête froide, alors on fait une pose pour calmer un peu le jeu. En recherchant de manière un peu plus insistante mais sans réel espoir au pied du mur de neige, on découvre un bout d’hélice qui dépasse de la neige. Il était juste à côté de nous tout ce temps ! Double satisfaction ! Il est intact, mais surtout on ne laissera pas ce petit concentré de plastique et de Lithium au milieu des montagnes.
Après ces émotions, on revoit nos objectifs de bivouac à la baisse en se rabattant sur une petite langue rocheuse, au sec, à peine une centaine de mètres à l’ouest du sommet. Juste en face, un énorme cumulonimbus semblait bien parti pour sortir de l’atmosphère avant de se faire décapiter par un jet stream. Sacré spectacle.
Par ailleurs, ce soir nous dormons en Italie.
Quatrième partie : Pointes D’Oren - Zermatt
Distance : 34 km
Dénivelé + 1 930 m
Dénivelé – 3 700 m
Le lendemain, le réveil sonne avant l’aube. On ne prévoit pourtant aucune folie, mais la descente du col de l’Evêque pourrait s’avérer délicate. Un terrain très crevassé combiné avec une exposition plein Est imposent un départ matinal. De l’énorme cumulonimbus de la veille, il ne reste que quelques petits nuages autour des sommets d’Italie du Nord, qui crachent un débit d’éclairs impressionnant. Le petit dej est vite englouti, pour un décollage avec l’arrivée du soleil. La croûte de neige qui recouvre les crevasses est encore très dure. Ça permet d’être un peu plus serein, mais il faut trouver son chemin dans ce labyrinthe de crevasses. C’est parfois plus simple de sauter par-dessus plutôt que de les contourner…
Une fois sorti du glacier, on profite du soleil pour faire sécher tout notre attirail avant de remonter vers le Plan Bertol, puis le col Eponyme. Au-dessus du col, la cabane de Bertol est accrochée à un flanc de falaise. Des échelles permettent d’y accéder facilement en évitant les risques de glissade dans le petit couloir en neige juste sous le col. On marque une petite pause au refuge. Sous un de nos crampons, un petit boulon nous inquiète. Il s’obstine à vouloir se faire la male, et impossible de le visser correctement sans outils. Le gardien nous règle ça en deux coups de pince, pendant qu’on se régale de cookies qui sortent du four.
La journée est déjà bien avancée, mais on a une furieuse envie d’aller poser la tente au sommet de la Tête Blanche, un sommet central perché à 3 700 mètres qui devrait offrir une vue imprenable sur le Cervin, mais aussi la tête de Valpelline, la dent D’Hérens, la dent Blanche, et beaucoup d’autres. Une fois de plus, il semble être à portée de main, mais le gardien nous annonce entre 3 et 4 heures pour traverser le glacier avant d’arriver là-haut.
Le mauvais temps arrive et il va commencer à faire nuit d’ici trois heures. Autant dire que les voyants ne sont pas au vert pour entreprendre la petite ascension, mais d’après les cartes, la descente à l’est de la Tête Blanche est particulièrement crevassée. Donc on accepte de prendre le risque de se trouver dans la tempête ce soir pour minimiser les risques de pont de neige du lendemain en passant à la fraiche. Au pire, si ça bastonne trop sévère on creuse un trou dans la neige pour monter la tente jusqu’à ce que ça passe.
Pendant toute la traversée, les orages passent de part et d’autre du glacier sur lequel on se trouve sans s’accrocher sur la tête blanche, pour l’instant. Une chappe de nuages dense s’amoncelle juste derrière le col des bouquetins. Plus ça va, plus le noir s’épaissit, jusqu’à devenir franchement inquiétant. En faisant semblant de ne pas voir ce qui se trame, on continue en direction du sommet. Il ne reste plus que quelques centaines de mètres de dénivelé lorsque les nuages le prennent d’assaut. Les premiers flocons arrivent rapidement, les premières bourrasques aussi. On ferme les braguettes et on sort les capuches, mais c’est plus le manque de visibilité sur un terrain potentiellement crevassé qui nous inquiète.
On est à la limite de s’arrêter là, mais la pente s’adoucit et on arrive rapidement sur la crête, où les crevasses deviennent assez improbables. Finalement, le glacier se retire pour laisser place à la roche. Une croix marque le sommet, on est accueillis par une légère éclaircie. Seul problème, il n’y a pas vraiment d’endroit plat pour poser la tente. Deux solutions s’offrent à nous, retourner sur le début du glacier qui pourrait offrir quelques spots relativement plats en perdant la vue sur toute la partie Est, ou creuser une plateforme dans un mélange de caillasse et de terre juste sous le sommet. On creuse.
Une petite heure plus tard, une plateforme est prête à accueillir la tente. Avec un matelas percé ça risque de ne pas être particulièrement confortable, mais on compte sur la fatigue pour faire oublier les petites pointes qui dépassent. Et ça marche. Les nuages sont revenus et semblent s’être installés durablement autour du sommet, nul besoin d’attendre quoi que ce soit du coucher de soleil. Alors on s’installe dans les duvets et on écrase.
Le lendemain, on se réveille dans un nuage qui largue quelques flocons par intermittence. Pas vraiment envie de sortir le nez dehors. On décale le réveil d’une heure, puis deux. On finit par se résigner à plier pour attaquer la descente avant que les ponts de neige ne ramollissent trop. Finalement, on aura le droit à quelques courtes éclaircies pendant qu’on plie et qu’on commence à descendre. Quelques mètres en dessous du sommet, la visibilité s’améliore nettement. Ouf.
Derrière le col de la Tête Blanche, les difficultés commencent. Des crevasses béantes imposent des détours. Une trace dans la neige propose un passage. Ce n’est pas de refus pour trouver la direction à suivre, mais on rajoutera quelques détours pour s’éloigner de ponts de neige qui recouvrent plusieurs mètres d’ouverture. L’une d’elles nous inquiète tout particulièrement. On passe en marchant sur des œufs et en augmentant la distance, corde tendue. Il n’y a pas que la corde qui est tendue…
On traverse la partie la plus enneigée sans encombre, avant de redescendre sur la partie en glace, encore particulièrement ouverte au centre du glacier. Il ne reste plus que quelques petits ponts de neige, les crevasse sont moins grandes mais plus nombreuses, c’est un vrai labyrinthe. Avec la glace, impossible de suivre la trace, donc on se part à deux ou trois reprises, ce qui nous vaudra quelques aller retours pour arriver à se frayer un passage entre les fissures. En arrivant vers le Stockji, le soleil fait son apparition, la pente s’adoucie et le glacier se referme.
Sans l’aide des cartes, impossible de se douter qu’une centaine de mètres plus loin, le glacier s’arrête brutalement sur un impressionnant mur de séracs où il ne fait à priori pas bon vivre. On s’extirpe de la glace pour une petite escapade sur le mini-sommet du Stockji. Plus modeste que les sommets précédents en termes d’altitude, c’est un point d’observation central au milieu d’un cirque de montagnes invraisemblables, face au Cervin, directement au-dessus du mur de séracs du glacier à nos pieds.
S’en suit une longue descente en direction de Zermatt, qui commence par quelques passages en varappe facile, parfois équipés de cordes avant de poser le pied sur le glacier de Schönbiel, dernière étape avant de rejoindre le plancher des vaches, sur l’autre rive du glacier. Il faut traverser un dédale de roche, puis grimper sur une moraine particulièrement raide et instable, à proscrire par temps pluvieux. Plutôt que de prendre plein Est comme nous avons fait, mieux vaut remonter quelques centaines de mètres au Nord en direction de la cabane de Schönbielhütte (pas de doute, on est bien arrivé en suisse alémanique).
On arrive finalement au bout de nos peines, sur un petit bout de pelouse coincé entre la moraine et les falaises, où on s’affale près d’un tapis de myrtilles, juste sous l’impressionnante face Nord du Cervin. Quelques averses passent, puis les nuages s’écartent timidement, laissant apparaitre la partie supérieure du sommet plâtrée d’une pellicule de neige. De petites avalanches continues débaroulent des falaises en cascades de neige au milieu des nuages. On passe la fin d’après-midi à admirer le spectacle, magnifique de loin, à l’abri des gouttes sous la tente.
Le lendemain, on finit tranquillement la descente vers Zermatt au travers de prairies de plus en plus fleuries. Puis les fleurs laissent place aux arbres pour finir ensuite au travers d’une forêt de Mélèzes qui s’ouvre quelques centaines de mètres plus bas sur la petite ville de Zermatt. Si la ville arrose très largement tous les versants de montagne accessibles de poteaux de ferraille, télécabines, télésièges et autres cicatrices en tout genre, il faut bien avouer que la ville en elle-même a su conserver un charme authentique.
Dès qu’on s’éloigne de la rue principale (où s’entassent bijouteries, hôtels de luxe, banques et autres spécialités locales) les étroites ruelles sillonnent entre de vieilles granges de bois qui ont été sauvegardées malgré un prix de l’immobilier certainement délirant. Le tout sous l’œil omniscient du Cervin, visible à chaque croisement de rue. On fête notre retour parmi les hommes avec ce qu’ils savent faire de mieux : une fondue. Pas spécialement de saisons, mais après 10 jours de rations, impossible de ne pas craquer.
Il nous faut ensuite envisager le retour sur Chamonix. Le train est relativement cher et ce n’est pas sûr qu’on puisse avoir une correspondance pour arriver jusqu’à Chamonix le soir même. Alors le stop s’impose comme la solution idéale. Pendant plus d’une demi-heure, on ne voit passer que quelques voiturettes électriques qui assurent les navettes avec les hôtels. Pourtant la ville grouille de monde ! Un gros 4×4 qui monte nous propose de nous récupérer au retour si nous sommes toujours en quête de véhicule. Ce n’est pas de refus.
Effectivement, 35 minutes plus tard nous sommes toujours sur le bord de la route. Et comme convenu, il nous récupère pour redescendre dans la vallée, nous apprenant au passage que l’accès à Zermatt est interdit aux véhicules (lui a une autorisation de circuler car il y travaille dans une boutique de sport). Tout s’explique. Il est allemand, et nous prévient que ce n’est pas facile de faire du stop en suisse avant de nous déposer à Visp, ne manquant pas de faire un petit détour pour nous laisser à un endroit stratégique. Effectivement, les voitures ne s’arrêtent très peu. Nous serons pris tour à tour par un Australien, une Allemande, une Française et deux Tchèques grâce auxquels nous arriveront à Chamonix, peu avant la tombée de la nuit (encore un grand merci à eux, avec toutes nos excuses pour les odeurs…)
Nous abandonnons la dernière voiture au niveau du col des Montets pour redescendre à pied vers Montroc, puis au village du Tour où nous attend une petite mousse bien méritée. Ainsi s’achève ce petit périple au cœur des Alpes, qui nous aura ouvert les yeux sur des montagnes incroyables où nous n’avions jamais mis les pieds, à quelques kilomètres de la maison…
5 Comments
Palpitant! drôle parfois et lyrique tout du long. Un récit passionnant illustré de photos toujours aussi magnifiques. Certaines même sublimes, à mon goût….
J’espère bien remis celui ou celle qui a dû dormir sur les cailloux !!!…et qui a eu de si belles ampoules!
Mais, à voir toute cette neige, glace et pics acérés je suis transie….quant à bivouaquer là !!!
Bravo à vous et bise (pas celle qui souffle des sommets!).
Hehe oui, le dos et les talons ont bien récupéré depuis.
Pour autant ça n’entache pas les souvenirs de cette belle virée !
Merci pour ton mot.
Belle histoire. Et de belles photos. Bravo
Merci Chris 😉
[…] dernière petite escapade entre Chamonix et Zermatt nous a donné un bel aperçu des Alpes suisses, un terrain de jeux proche de la maison que nous […]